je veux encore rouler des hanches,

je veux me saouler de printemps

je veux m'en payer des nuits blanches

à cœur qui bat, à cœur battant

avant que sonne l'heure blême

et jusqu'à mon souffle dernier

je veux encore dire "je t'aime"

et vouloir mourir d'aimer

Barbara

samedi 19 septembre 2015

Jeanne Benameur : Otages intimes

     Dans son dernier roman Jeanne Benameur nous emporte sur les traces de l'intime, comme toujours ses mots frôlent les sens, tous les sens.
     Elle nous plonge dans une histoire émouvante, où un homme, Etienne reporter-photographe, entame une douloureuse reconstruction après avoir été otage dans un pays en guerre.
     Libéré, il part aux sources de son enfance, dans son village près de sa mère et de ses deux amis.
     Enzo, l'ami de toujours, travaille le bois et Jofranka, l'orpheline qui a quitté le village pour devenir avocate auprès de la cour pénale de la Haye.
     Ce sont des personnages au tournant de leur vie, avec des failles et des fêlures.
     Etienne, comme son père, est lumineux dans les départs, il ne vit que dans la possibilité d'un ailleurs, d'un autre lendemain.
     La séquestration, l'humiliation, l'absence de liberté l'ont amené à revisiter sa vie et celle de ses proches. Le regard est différent mais l'envie est toujours là.
     Enzo, celui qui est resté, l'homme blessé et l'ami fidèle. Lui aussi prendra un autre départ. Tout est possible.
     Jofranka, la petite fille, l'orpheline, celle qui vient de loin, l'adoptée. Une femme à la limite de l'amour qui a choisi de défendre celles qui ont été meurtries à jamais.
     Le premier lien entre eux, la musique, avant d'en découvrir d'autres, plus intimes et plus violents.
     Et le style de Jeanne Benameur, ses mots qui nous parlent de souffrance, d'amour, de vie et de mort.
     Les thèmes sont nombreux et touchent au plus profond de l'homme, de ses envies de ses manques.
     Il y a bien sûr la question de la survie face à la barbarie mais une question a été abordée et qui m'a tout particulièrement touchée.
     Celle de la souffrance de celui ou celle qui attend, de la tristesse de la solitude de celui ou celle qui n'a pas choisi de partir et qui angoisse au départ de l'autre. Cette angoissante attente qui détruit.
     Un très beau livre, un voyage dans les mots, un voyage humain.
Jeanne Benameur - Otages intimes - Editions Actes Sud - 192 pages - 18.80 Euros 


vendredi 18 septembre 2015

Delphine de Vigan : D'après une histoire vraie

     Un livre très attendu de l'auteur de "Rien ne s'oppose à la nuit", dans lequel Delphine de Vigan raconte "une histoire vraie", celle de sa mère et de sa famille. Après un immense succès, l'angoisse de la page blanche apparaît. Que peut-on écrire après ça ?
     C'est cette histoire là que Delphine de Vigan décide de nous raconter ici. "D'après une histoire vraie" met en scène l'auteur remplie de doute et assaillie par les questions du public sur sa prochaine oeuvre. Va-t-elle poursuivre dans la biographie ou innover avec une fiction ?
     Elle fait la connaissance d'une jeune femme L de son âge, qui écrit des biographies pour artistes, très charismatique. Elles deviennent amies et L est présente dans sa vie même si ses proches ne la connaissent pas, parfois elles se ressemblent trop.
     Delphine de Vigan, doute de plus en plus sur le sujet de son prochain livre et sur sa fonction d'écrivain. L la pousse dans ses doutes, l'accule dans son refus d'écrire, prend un peu plus le pouvoir sur elle, d'une façon perverse.
     Victime d'une profonde dépression, Delphine de Vigan s'en sort in extremis...
     Une histoire simple, très simple, si ce n'est que l'auteur nous manipule admirablement.
     Je n'en dirai pas plus, c'est tout simplement bluffant et réussi.
     Les exergues des chapitres nous plongent dans un suspense grandissant, puisqu'il s'agit des morceaux choisis de "Misery" de Stephen King.
     Alors fiction ou histoire vraie ? 
     Delphine de Vigan a un talent d'écrivain extraordinaire pour nous captiver tout au long de ce récit hautement psychologique.
A lire absolument.
Delphine de Vigan - D'après une histoire vraie - Editions J.C. Lattès - 482 pages - 20 Euros

vendredi 4 septembre 2015

Sorj Chalandon : Profession du père

     En donnant la parole à Emile, le petit garçon qu'il a été, Sorj Chalandon fait ressusciter sans doute pour l'ultime fois, l'image de son père.
     En 1960, Emile a douze ans et vit entre son père et sa mère. Trinité familiale qui cache bien des secrets, insoupçonnables et insoupçonnés.
     André Choulans, le père, ancien conseiller intime de de Gaulle, est déçu par la trahison du grand homme quand ce dernier cède l'Algérie aux algériens.
     Devenu au fil des années, l'éminence grise au sein des services secrets le père s'est vu confié de nombreuses missions et a accumulé beaucoup de métiers.
     Une de ses dernières missions, tuer le Général en s'alliant aux généraux du putsch.
     Pour cela ils ont besoin de sang neuf, et André recrute son fils. Il est temps qu'il apprenne qui est son père.
     Emile découvre stupéfait son père, ce héros qu'il vénère et admire et aime. Avec un regard rempli d'illusions il refuse de voir les incohérences qui se jouent sous ses yeux.
     Mais chaque vie si brillante soit elle possède les plus sombres ténèbres, et André fait régner la terreur et l'angoisse dans son foyer.
     Violent, colérique le père fait subir à l'enfant des entraînements en pleine nuit, le prive de manger et le charge de déposer du courrier ultra secret à l'autre de bout de la ville et le frappe.
     Ce récit pourrait être très  drôle et bourré d'humour si ce n'est que le père, et le lecteur le comprend très vite, est un grand malade.
     Mythomane, complètement paranoïaque, il a isolé sa femme et son fils de toute famille, amis, relations. C'est un grand malade psychiatrique que le manque de soins entraîne dans une spirale de plus en plus délirante.
     Ce huis clos amer et étouffant, au sein de cette cellule familiale meurtrie, frappe le lecteur par la justesse du ton et la force du texte.
     Triste, infiniment triste, l'enfance volée de ce petit Emile entre un père violent et malade et une mère spectatrice consentante et apeurée.
     De cet amour manqué et trahi, le narrateur/auteur en sortira en réparant la beauté des tableaux auprès de sa femme et de son enfant, en redonnant des couleurs à la vie et à l'amour. 
     Un véritable coup de coeur pour ce récit admirablement bien écrit, bouleversant de retenue.
     De ce texte sombre, Chalandon a le talent de donner au lecteur, qui tremble pour ce petit Emile, la lumière de l'espoir. 
Sorj Chalandon - Profession du père - Editions Grasset - 320 pages - 19 Euros





mercredi 2 septembre 2015

Joyce Carol Oates : Les Chutes

     Joyce Carol Oates dépeint dans ce roman le portrait d'une famille américaine des années 1950 à 1980. Des années 50 où le rêve américain avait la valeur d'un futur heureux jusqu'aux années 80 où l'Amérique est en proie à ses démons du modernisme à outrage et commence à sombrer.
     C'est dans un décor hautement fabuleux et troublant, les Niagara Falls, où touristes, jeunes mariés et suicidaires viennent goûter le charme vénéneux de ces chutes que se déroule cette histoire psychologique.
     Car l'auteur introduit le lecteur dans les méandres des pensées les plus sombres et les plus nocives des protagonistes où chacun dans les profondeurs de l'âme cache ses secrets et ses fêlures.
     Au centre de ce roman, Ariah, une jeune femme pas vraiment belle mais vraiment névrosée. A la fin de sa nuit de noces, son premier mari Gilbert se suicide en se jetant dans le fleuve.
Errant seule à Niagara Falls, elle attend que les sauveteurs ramènent son corps.
     Dirk, avocat play boy du coin, fils à papa, est fasciné par cette femme rousse au comportement bizarre que les gens surnomment La Veuve Blanche.
     Une passion se noue, folle et inconcevable, entre le beau gosse de riche et la fille de pasteur austère. A la stupéfaction de tous, ils se marient.
     Nous partageons le quotidien de ce couple essayant par tous les moyens de fuir à sa façon une famille omniprésente et castratrice. 
     Le récit prend une tournure radicale, avec l'affaire du Love Canal, où Dirk décide de prendre la défense des pauvres gens exploités par les usines chimiques qui se construisent en amont du fleuve et qui polluent mortellement leurs habitations.
     Abandonné par les siens, par Ariah dont on ne comprend pas l'attitude, il finit par fuir à jamais l'incompréhension des autres.
     L'auteur parle ici de fuite, qu'elle soit par le départ, par l'isolement ou la mort. Beaucoup de questions restent sans réponse et donnent au lecteur un sentiment de malaise.
     Les personnages sont déroutants, les enfants nous touchent un peu plus. Mais l'auteur aime délirer et perdre le lecteur.
     Beaucoup de thèmes sont abordés : l'industrialisation du pays, l'exploitation des travailleurs, la corruption, les classes sociales et des hommes et femmes qui évoluent dans un monde en changement perpétuel.
     Il faut se laisser porter et envahir par cette prose magnifique et ces paysages lancinants même si les mystères restent nombreux.
     Ce livre a obtenu le prix Fémina étranger 2005.
Joyce Carol Oates - Les chutes - traduction Claude SEBAN - 480 pages - 22.80 Euros