je veux encore rouler des hanches,

je veux me saouler de printemps

je veux m'en payer des nuits blanches

à cœur qui bat, à cœur battant

avant que sonne l'heure blême

et jusqu'à mon souffle dernier

je veux encore dire "je t'aime"

et vouloir mourir d'aimer

Barbara

jeudi 23 septembre 2021

Sorj Chalandon : Enfant de salaud



    La rentrée littéraire est l'occasion pour Sorj Chalandon de raconter l'histoire de son père et surtout de l'homme qu'il était pendant l'occupation allemande.

   L'auteur en 1987 est alors journaliste à Libération et à ce titre couvre le procès  Klaus Barbie. Il va utiliser ces semaines d'audience historique pour mettre en scène son père et lui  réclamer la vérité sur ses actes pendant la guerre.

   Le mot" traitre" représente pour Chalandon le fil rouge de son œuvre et il nous offre ici le cri de détresse de l'enfant qui demande une dernière fois : Papa qu'as tu fait pendant la guerre, qui étais tu ?

   L'auteur n'interroge pas sur la monstrueuse culpabilité de Barbie surnommé "Le bourreau de Lyon" et défendu par Vergès dans un procès historique où les actes de barbarie sont détaillées et où les victimes survivantes rendent un ultime témoignage. 

   Il invite son père au cœur de ce procès pour le mettre face à ces errements et mensonges et le somme une dernière fois de dire la vérité.

   Ayant récupéré son dossier judiciaire le condamnant en 1945 à un an de prison et cinq ans de dégradation nationale, Chalandon veut savoir la vérité. Héros ou collabo ? Est-il un enfant de salaud ?

   Mêlant petite et grande histoire, l'auteur rend ici un témoignage poignant contre l'oubli des atrocités de la Shoah et du devoir de mémoire. Mais c'est aussi le cri d'un homme réclamant la vérité qui dresse le portrait d'un père violent, manipulateur et mythomane. 

   Une dernière fois l'auteur tend la main à cet homme. Sorj Chalandon n'aura pas toutes les réponses mais il aura tenté de le comprendre.

   Une écriture remarquable où le lecteur ressent l'émotion intense du passé du père pesant toujours sur l''auteur mais aussi la culpabilité d'avoir espionné ce passé. L'auteur nous parle des regrets des rendez-vous manqués avec son père.

   A lire absolument,

Sorj Chalandon - Enfant de salaud - Editions Grasset - Parution Août 2021 - 336 Pages - 20.90 €

dimanche 11 juillet 2021

Taylor Brown : Le fleuve des rois

 


La lecture du dernier livre de Taylor Brown est une épopée magistrale au long cours sur  l'Altamah River, fleuve mystérieux et mythique de Géorgie. Le récit, intense et  maîtrisé, nous entraîne sur trois époques différentes. Avec des héros peu communs, nous remontons le fleuve dont les eaux abritent de bien  mystérieuses et envoûtantes légendes.

Deux frères, Lawton et Hunter, que tout sépare, décident de descendre en kayak l'Altamah River pour répandre dans l'océan les cendres de leur père. Ce sera un moment de retrouvailles et de reconnaissance après une longue absence. C'est le lieu de vie de leur enfance, les souvenirs surgissent.

L'occasion pour eux d'essayer de comprendre la disparition de leur père, homme mystérieux et secret, ancré dans cette nature sauvage. Nous le suivons dans ses années de jeunesse, dans sa passion amoureuse sur ce fleuve qui fait chavirer les nuits et les âmes.

L'auteur donne aussi la parole à  Jacques Le Moyne de Morgues, cartographe et dessinateur mandaté  par le roi Charles IX en 1564 pour une mission de reconnaissance dans le Nouveau Monde, terre fascinante et inconnue. Nous vivons l'installation et la colonisation de ces premiers colons sur la terre indienne. Les dessins de le Moyne  accompagnent le récit le rendant captivant.

Une descente de  fleuve majestueuse et violente. L'auteur magnifie la nature hostile mais attachante et la présence du fleuve qui abrite une vie intense avec ses maisons flottantes et sa faune incroyable.

Dans la  forêt primitive de cyprès qui borde l'Altamah River, l'auteur nous sert un plaidoyer ambitieux et intelligent sur cette nature que l'homme n'a eu de cesse de saccager.

Une réflexion profondément humaine sur la place de l'homme, sa relation avec la nature, sur le bien et le mal dans les méandres d'un fleuve qui seul continue son chemin vers l'océan.

Alors embarquez, amis lecteurs !

Taylor Brown - Le fleuve des rois - Editions Albin Michel - Traduit de l'américain par - Parution Mai 2021 - 464 Pages - 22.90 €




mardi 15 juin 2021

Piergiorgio Pulixi : L'île des âmes



 L'auteur italien  Piergiorio Pulixi signe ici un roman policier ethnique,  profond et envoutant dans une région mystérieuse et sauvage de la Sicile, Barbagia.

Le meurtre d'une jeune fille retrouvée la gorge tranchée, portant le masque d'un animal et couverte d'une peau de mouton fait resurgir des meurtres anciens similaires qui n'ont jamais été résolus.

Portée par les croyances et la culture nuragique qui s'est développée sur l'île à l'époque du paléolithique, l'enquête nous emmène dans des cultes et rituels ancestraux dans une île rude qui forge les âmes.

L'inspecteur Moreno Barrali a fini sa carrière, rongé par un cancer et par ces affaires qu'il n'a jamais pu résoudre. Cet  homme  a consigné pendant près de 40 ans ses recherches, ses indices et il va les transmettre à l'équipe des deux inspectrices efficaces et téméraires qui viennent d'arriver.

Chaque personnage possède un caractère fort malgré des parcours de vie difficiles.

La construction de ce roman aux paragraphes courts emmène le lecteur dans une aventure palpitante.

D'abord par le ton et le rythme soutenu, l'auteur nous décrit des scènes de crime assez crues et très violentes en alternant des passages de grande poésie sur l'île avec la description d'une nature éternelle ainsi que des  passages intimes sur la vie de ses personnages.

La première partie est très fouillée, remplie d'indices et de descriptions qui posent l'histoire mais le roman s'accélère vraiment dans la deuxième partie pour entamer une enquête folle et sombre qui entraîne le lecteur au cœur des ténèbres.

L'histoire prend alors une dimension angoissante et l'intrigue évolue dans un intense suspense tout aussi passionnant qu'addictif et l'auteur nous surprend avec une fin insoupçonnée.

Le seul petit bémol vraiment petit ce sont les mots et expressions en sarde pas toujours traduits qui ralentissent le rythme de la lecture. 

Sinon le dépaysement est total et les éditions Gallmeister ont fait une sortie réussie en Sardaigne avec un choix excellent. C'est une très belle idée d'ouvrir leur collection à d'autres chemins que ceux de l'Amérique pour le seul plaisir de la lecture.

A lire absolument,

Pergiorgio Pulixi - L'île des âmes - Editions Gallmeister - Traduit de l'italien par Anatole Pons-Remaux -Paru Avril 2021 - 544 pages - 25.80 €


mercredi 19 mai 2021

Colombe Schneck : Deux petites bourgeoises



Colombe Schneck avec beaucoup de délicatesse dresse le portrait de deux jeunes bourgeoises parisiennes, Esther et Eloïse.

Elles se connaissent depuis 1977, en sixième. Elles fréquentent la même institution scolaire, l'Ecole Alsacienne et répondent aux mêmes codes, partagent les mêmes vacances ultra protégées, sont snobs parce qu'elles ne le savent même pas.

Bref, des petites filles à papa, bourgeoises depuis plusieurs générations, même si le parcours de leurs parents est différent.

Elles gravitent dans la même sphère et ont du mal à voir qu'ailleurs existent d'autres gens.

L'auteur nous plonge dans les symboles de la bourgeoisie mais nous raconte surtout l'amitié entre deux jeunes filles, leurs interrogations sur le passage à l'âge adulte, sur les tempêtes qui secouent leur famille et leur couple.

Bourgeois ou pas nous vivons à l'intérieur de nous les mêmes angoisses, les abysses. L'amitié, l'amour, la maladie et  la mort que l'on ne peut accepter concernent tout le monde.

Colombe Schneck le fait avait beaucoup de nostalgie avec un style bien à elle et grâce à ces jeunes femmes nous traversons toute une époque politique et sociale.

C'est léger et grave à la fois, une belle lecture.

Colombe Schneck - Deux petites bourgeoises - Editions Stock - Parution Avril 2021 - 148 Pages - 17 €


mardi 11 mai 2021

Nancy Huston : Arbre de l'oubli

 


Magnifique roman choral, Arbre de l'oubli, nous montre avec les mots de Nancy Huston toute la difficulté d'une destinée.

Avec beaucoup de subtilité et de sensibilité, l'auteur donne vie à deux familles, l'une juive les Rabenstein, l'autre protestante les Darrington. Sur trois générations et avec des points de vue différents, elle aborde avec intelligence beaucoup de thèmes et de questions.

Que ce soit la filiation, la quête d'identité, le fait d'appartenir à une famille, l'esclavage, le racisme et tout ce qui touche à une vie emporte le lecteur dans  l'ombre et la lumière de personnages ancrés dans leur quotidien et touchés par l'Histoire.

La complexité et l'originalité de la construction narrative impliquent davantage le lecteur dans l'histoire des personnages, de l'enfance à l'âge adulte avec les doutes et les failles qui les habitent.

A travers des voix différentes, des lieux et les époques qui changent, un style et un ton différent, Nancy Huston nous explique toute la difficulté de s'affranchir du passé pour construire son chemin.

Joël Rabenstein, brillant anthropologue et Lili Rose sa femme née Darrington, profondément athées ont eu une fille Shayna, jeune métisse, par procréation pour autrui.

Ils n'auront de cesse de se libérer de leur passé et croyance familiale tout en étant concernés par les événements de leur époque.

Un grand roman qui se lit avec beaucoup d'attention et dont l'écho très actuel nous poursuit une fois la lecture terminée.

On aurait aimé faire un bout de chemin avec Shayna , jeune femme lumineuse.

Un livre ambitieux qui interroge et nous montre combien la littérature est nécessaire.

C'est l'occasion de lire ou relire "Lignes de faille" de l'auteur auquel m'a fait pensé "Arbre de l'oubli".

Nancy Huston - Arbre d'oubli - Editions Actes Sud - Parution mars 2021 - 320 Pages - 21 €


mercredi 5 mai 2021

Kate Quinn : La chasseresse



L'auteur nous plonge dans un passionnant roman à travers l'histoire de trois personnages confrontés aux horreurs de la guerre qui, après le procès de Nuremberg, décident de retrouver les criminels nazis enfuis.

Ian, journaliste anglais a été confronté à la mort de son frère, assassiné par la maîtresse d'un haut dignitaire nazi. Coupable de tortures et de meurtres d'enfants, elle a réussi à fuir et devient la cible que Ian et Tony jeune juif américain traquent avec acharnement.

Nina va les aider, elle a eu affaire à cette femme, surnommée la Chasseresse. De nationalité russe, Nina a fait partie d'une escadrille de femmes pilotes chargée de bombarder les sites allemands.

Une nuit son avion s'écrase en territoire ennemi. Obligée de se cacher sa vie ne tient qu'à un fil, elle rencontre cette femme, s'en sortira mais ne l'oubliera pas.

Ensemble ils retrouvent sa trace qui les conduit aux Etats-Unis, à Boston après la guerre.

A Boston où Jordan jeune américaine, passionnée de photos et d'une folle envie d'indépendance , fait la connaissance de sa nouvelle belle-mère. Une jeune femme dont personne ne connaît le passé.

Leurs chemins vont se croiser et la trame romanesque est certes très bien menée avec un suspense croissant.

L'histoire de ces femmes pilotes est unique, surnommées "les sorcières de la nuit",  montre que pendant les guerres les femmes ont su défendre leur pays.

Beaucoup de thèmes sont évoqués ici grâce aux personnages attachants portant des blessures profondes et vraies, comme Nina  pilote et femme sublime et téméraire.

Nous tremblons pour elle au fin fond de la Sibérie au bord de ce lac d'où émergent les pires légendes auprès d'un père alcoolique et violent.

Mais aussi pour le peuple russe qui souffre des injustices du parti qui  surveille et oblige les dénonciations.

Nous sommes confrontés à une Amérique d'après guerre soucieuse de combattre les communistes et oublier la guerre qui est maintenant finie que de traquer les nazis en fuite.

Un magnifique roman qui nous emporte au cœur de l'Histoire. A lire absolument.

Kate Quinn - La chasseresse - Editions Hauteville - Traduit de l'Américain par Agnès Joubert - 704 pages - 19.50 €

jeudi 22 avril 2021

Emuna Elon : Une maison sur l'eau



 Entre Jérusalem où il vit  et Amsterdam où il est né, nous suivons les traces de Yoel Blum célèbre écrivain israélien venu justement dans sa  ville natale pour la promotion de son dernier livre.

En visitant le musée de l'holocauste, il découvre sur un court film de l'époque, sa mère tenant dans les bras un bébé qui n'est pas lui.

Commence alors pour lui une quête de la vérité sur sa famille, sur ce qu'il ressent depuis son enfance, sur ses peurs, ses angoisses et sa difficulté à dévoiler ses sentiments.

Sa sœur restée en Israël lui donnera quelques pistes sur ce passé dans ce pays où ils avaient promis tous les deux, à leur mère, de ne jamais retourner.

Une histoire bouleversante et éblouissante dans une ville ravagée par la guerre où les Juifs sont poursuivis, spoliés et déportés. L'histoire de cette famille s'inscrit dans l'incohérence absolue qu'engendrent les massacres des Juifs dans les pays occupés par l'Allemagne nazie.

La force et l'originalité de ce roman est la proximité des années de guerre dans une ville qui perd tous ses repères comme les familles juives qui y vivent, et les chemins empruntés dans cette même ville de nos jours par un écrivain à la recherche de son histoire familiale.

Un paragraphe sur une époque, un interligne et une autre époque prolonge la vie des protagonistes à travers la quête du héros.

Ecrit superbement, malgré quelques longueurs que l'on oublie vite, il  reste  la découverte ou redécouverte d'Amsterdam, une balade prodigieuse de nos jours et dans l'Histoire.

Un coup de cœur énorme pour cette découverte d'auteur, Emuna Elon, traduite pour la première fois en France et qui porte la voix des disparus.

A lire.

Emuna Elon - Une maison sur l'eau - Editions Albin Michel - Traduit de l'Hébreu par Katherine Werchowski - Parution mars 2021 - 336 Pages

samedi 10 avril 2021

David Zukerman : Iberio



Mercedes Montalvo a quitté l'Espagne pour fuir la misère et un père violent et alcoolique et une mère battue, qui enchaîne les grossesses. Elle a seize à peine quand elle gagne Paris son bébé sous le bras.

Commence alors la galère, les petits boulots et la vie d'une mère célibataire dans une ville où elle ne connaît personne.

Une vie qu'elle consacre à son enfant Iberio, "pour qu'il n'oublie pas d'où, il vient", une vie sans homme faite de travail. Mercédès est consciencieuse, et elle décroche une place de concierge dans un immeuble  du 16ème.

Y vivent un peintre célibataire à la gloire déclinante, un médecin coureur de jupons, une vieille voisine un peu trop curieuse. Un petit monde pour lequel travaille Mercedes et qui respecte cette jeune femme travailleuse, sérieuse et courageuse.

C'est le quotidien d'un immeuble huppé où l'art s'invite dans la personnalité d'un peintre revenu de tout sauf de l'amour éperdu qu'il éprouve pour la trop jolie concierge.

C'est aussi l'amour absolu d'une femme pour son enfant et d'un secret de famille.

Le secret est révélé à la fin et donne un peu plus de consistance au personnage de Mercédès et à ses choix de vie, rendant le récit plus palpitant.

Un roman sympathique mais sur lequel je suis restée parfois en dehors malgré des personnages fouillés, des thèmes intéressants, comme la création artistique.

L'histoire reste une succession de faits anecdotiques, mais c'est juste  mon avis.

David Zukerman - Iberio - Editions Calmann-Levy -  Parution Mars 2021 - 450 Pages -18.90 €


jeudi 1 avril 2021

David Vann : Komodo



     Tracy quitte la Californie pour une semaine avec sa mère, invitée par son frère Roy sur l'île de Komodo en Indonésie. A 45 ans elle est mère de jumeaux de 5 ans et cette semaine loin des charges familiales est la bienvenue. 
     Il faut dire que depuis la naissance de ses enfants, elle n'a plus une minute pour elle et se consacre exclusivement à eux. Son mari présenté comme un parfait égoïste ne l'aide pas, alors elle est débordée, fatiguée, et sombre dans un terrible burn out. 
     Une semaine exotique pour essayer de reprendre le souffle perdu et voir la vie d'une façon plus positive.
     Mais rien ne se passe comme prévu et les vacances exotiques se transforment en règlement de compte, décharge d'agressivité et de frustration.
     C'est son frère qui en fait les frais, lui  qui semble si libre et sans contraintes.
     Toute conversation démarre au quart de tour et la charge mentale subie par Tracy est trop forte.
     Entre dépression et folie, Tracy voit ses émotions lui échapper et sa famille est trop choquée par son attitude pour la soutenir.
     Alors, Tracy passera-t-elle de l'autre côté ? A lire bien sûr.
     Des thèmes chers à l'auteur. La famille, l'amour, la haine, la folie jamais bien loin et la tempête qui couve.
     Pour les amateurs de plongée, David Vann nous invite à des sorties en mer inoubliables. Les fonds sous-marin grandioses et la sensation de plénitude est ressentie réellement. Tout semble simple et pourtant le danger est là à chaque instant.
     L'auteur nous plonge dans le mental d'une femme, d'une mère à bout de nerfs, dépassée. C'est vrai l'arrivée d'un enfant en plus ici de jumeaux, change complétement la vie et la réaction de chaque femme est différente.
     Un petit bémol, Tracy est une femme qui a besoin d'être aidée, aimée, comprise mais j'avoue que je n'arrive pas à comprendre cette agressivité, cette non maîtrise de soi.
     La maternité est abordée d'une façon sombre et négative qui fait froid dans le dos parfois.
     Mais c'est ça aussi l'écriture de David Vann, il bouscule, il franchit la ligne.
     Un roman qui nous emmène loin sur le globe et dans notre âme.

David Vann - Komodo - Editions Gallmeister - Traduit de l'américain par Laure Derajinski - 304 pages - Parution Mars 2021


mercredi 24 mars 2021

Delphine de Vigan : Les enfants sont rois

 


Delphine de Vigan dans son dernier roman traite des conséquences de la téléréalité et du monde virtuel sur une famille et des ravages comportementaux sur les enfants qui en sont victimes 

A travers les parcours de Mélanie et de Clara, deux jeunes femmes ayant vibré à la toute première téléréalité avec Loana mais à des degrés divers et dont les chemins vont se croiser, l'auteur nous dresse un constat implacable de la société accro aux réseaux sociaux.

Mélanie, elle, a toujours rêvé de gloire et de paillettes. Aussi quand elle se rend compte du vide de son existence, elle décide de mettre en scène dans la vie de tous les jours, du lever au coucher, ses enfants, sa famille devenant trop rapidement des stars sur Youtube.

Enfin Mélanie existe, enfin elle est aimée, enfin elle est vue. Suivie par des milliers de fans sa vie quotidienne est devenue un véritable rêve et une vraie réussite professionnelle.

Jusqu'au jour où Kimmy est enlevée.

Clara chargée de l'enquête découvre le monde parallèle de la téléréalité, de Facebook et autres réseaux sociaux et découvre  l'argent que génèrent les vidéos postées par Mélanie. Un monde creux, vide d'émotions vraies qui kidnappent les enfants dans une fausse réalité en les rendant accros.

Un roman qui dresse un constat terrible de ce que la société a mis en place de plus nocif et toxique. L'intérêt de l'enfant n'existe pas sur les réseaux sociaux, c'est de la maltraitance  sans aucune surveillance ou lois pour encadrer cette situation.

C'est un livre très bien documenté, l'auteur nous plonge véritablement dans le vide sidéral d'un quotidien celui de Mélanie, jeune femme toujours à la recherche d'amour, de reconnaissance et d'argent. En suivant une enquête trépidante, le lecteur arrive dans les années 2030 où l'intelligence artificielle a bouleversé la vie mais le plus terrible c'est que c'est maintenant que ça se passe.

On ne lâche pas un instant ces enfants victimes d'une société qui devient folle et maltraités par des parents irresponsables.

Delphine de Vigan - Les enfants sont rois - Edition Gallimard  - Parution Mars 2021


dimanche 7 mars 2021

Daisy Johnson : Soeurs



A la suite d'un drame survenu au lycée de ses deux filles, Septembre et Juillet, Sheela est obligée de quitter précipitamment Oxford pour trouver refuge, dans une maison à l'abandon où flotte une atmosphère assez glauque perdue dans le Yorkshire.

Sheela est écrivaine de livres illustrés pour enfants, elle sombre dans une grande dépression et semble dépassée par les agissements de ses filles, surtout Septembre qui lui fait peur. Elle s'isole de plus en plus à l'étage dans sa chambre, seule.

Il faut dire que le comportement filles est très particulier. Avec à peine 10 mois d'écart elles sont très fusionnelles et fonctionnent comme des sœurs jumelles.

Septembre est plus dominatrice, plus violente et Juillet se laisse dominée. Elle se soumet aux ordres de Septembre et fait ce qu'elle lui demande même si c'est difficile.

Le récit est mené par Juillet qui raconte leur existence à Oxford et leur arrivée dans la nouvelle maison. Une existence hantée par l'absence d'un père dont on ne parle pas souvent, Juillet évoque avec le ton de l'adolescence les souvenirs d'enfance et les derniers événements qui ont bouleversé leur vie.

Daisy Johnson s'empare de l'adolescence et de ses bouleversements, de la cellule familiale, des rapportes entre sœurs pour nous plonger dans un drame oppressant.

Dans un paysage sauvage et perdu, elle tisse la toile qui va bientôt enfermer ce qu'il reste de cette famille.

La voix de Sheela prendra à la fin le relais de celle de Juillet pour donner des explications à ce huis clos très sombre.

Par moment déroutée par les délires d'adolescente de Juillet, j'ai  beaucoup aimé le style très percutant de l'auteur. Sa façon de mener une intrigue entraînant le lecteur sur les traces de personnages qui se perdent dans leur existence,  au bord de la folie. C'est assez envoûtant.

Un auteur que je découvre et un livre qui ne laisse pas indifférent.

Daisy Johnson - Soeurs - Editions Stock - Parution Janvier 2021 - Traduit de l'anglais par Laetitia Devaux - 216 Pages-


jeudi 4 mars 2021

Nathalie Kuperman - On était des poissons



Le douzième roman de Nathalie Kuperman nous emmène sur la Côte d'Azur sur les traces d'une mère, Alice et de sa fille 11 ans, Agathe. Un huis clos implacable sous le soleil du midi où la relation passionnelle et toxique entre une mère et sa fille entraîne le lecteur dans une histoire impitoyable.

Alice est une jeune femme à la beauté renversante  qui séduit les hommes. Elle est fantasque et pas toujours bien dans sa vie et sa tête. Quittée par son mari parti s'installer aux Etats-Unis avec sa nouvelle femme, Alice vit avec sa fille qui déborde d'amour et d'admiration pour elle.

Elle décide de partir avec Agathe pour des vacances près du Lavandou où elle a grandi. Pour cela Agathe manque la dernière semaine d'école et ne dira au revoir à personne.

On sent la relation fusionnelle entre la mère et sa fille. Dans le train l'ambiance est joyeuse et les vacances promettent la fête. Sa mère la couvre de petits noms d'animaux. Agathe est fascinée par cette femme si belle.

Mais arrivées à l'hôtel où elles sont hébergées,  tout semble se désagréger. Sa mère sombre dans une mélancolie méchante et Agathe en fait les frais. Les petits noms d'animaux se transforment en insultes blessantes pour la petite fille un peu trop ronde.

L'amour maternel n'existe plus et Agathe fait tout retenir sa mère qu'elle ne reconnaît plus. D'autant plus qu'il y a des moments de grâce où celle-ci redevient si gentille et aimante.

Au bord du gouffre et de la folie, la mère danse sur un fil qui va se briser et une phrase l'annonce avec une énorme émotion.

C'est un roman qui nous happe, on a envie de donner la main à Agathe et de la protéger. 

C'est le roman d'une voix, celle d'une petite fille de 11 ans qui ne reviendra pas indemne de ces vacances au soleil. Parce qu'aimer mal c'est aussi maltraiter et on ne peut rester insensible face à un enfant qui doit grandir vite pour se protéger des adultes incapables de le faire.

A lire et par forcément sur la plage.

Nathalie Kuperman - On était des poissons - Editions Flammarion - Sortie Janvier 2021 - 272 Pages 



dimanche 28 février 2021

Sandro Veronesi - Le colibri



Dans son dernier roman couronné par le prestigieux prix littéraire Strega, équivalent italien de notre Goncourt, Sandro Veronesi nous dresse un portrait intime d'une vie d'homme.

Marco Carrera est ophtalmologue à Rome. Il a 40 ans et l'histoire s'ouvre en 1999, par une scène brutale de l'appel de l'analyste de sa femme à son cabinet. S'ensuit alors un dialogue fiévreux où l'auteur nous invite à suivre les événements  de la vie de Carrera.

Sa sœur morte noyée quand il était jeune adolescent, le couple que forme ses parents,  grands bourgeois qui ne s'aiment plus, son divorce et son amour de jeunesse mais aussi sa petite fille adorée, enfant qui le surprendra et le maintiendra jusqu'au bout. Toute une vie qui nous est racontée, avec ses drames et ses bonheurs infinis. La vie, une seule et puis c'est tout.

 Roman complétement déstructuré dans lequel l'auteur raconte dans un récit sans aucune chronologie une existence et fournit l'essentiel au bon moment.

On se laisse envoûté par les styles d'écriture variés, mails, sms, dialogues qui  donnent à ce roman des moments de lecture vertigineux tant par la profondeur de la réflexion  que la beauté de l'écriture.

Sur fond de psychanalyse, Veronesi pose les questions essentielles : notre vie est-elle déjà écrite ? Peut-on la guider ? Quel en est le sens ?

Alors comme notre héros, le Colibri, nous  battons des ailes pour nous maintenir vaillant pendant toute notre vie. Qu'est ce que bouger finalement ? Nous changeons, nous nous adaptons pour nous apercevoir comme lui qu'ailleurs se trouve l'essentiel.

C'est une lecture comme je les aime parce qu'elle se mérite. Il faut se laisser porter par la musicalité des phrases et leur grande poésie. Ne pas penser à la chronologie en lisant, les explications arrivent au fil de la lecture. Les personnages sont tous très touchants et bien décrits. L'émotion nous chavire parfois intensément.

A lire, pour la réflexion et pour cet auteur si attachant.

Sandro Veronesi - Le Colibri - Traduit de l'italien par Dominique Vittoz - Editions Grasset - Parution Janvier 2021 - 384 Pages


mardi 23 février 2021

Florence Aubenas - L'inconnu de la poste

 


En grande professionnelle du journalisme d'investigation, Florence Aubenas nous plonge ici dans un fait divers de 2008 dont les multiples secrets et rebondissements donnent à ce récit en immersion un accent de polar.

 Montreal la Cluse, village de 3000 âmes, en plein cœur de l'auvergne, voit son quotidien chamboulé quand Catherine Burgod enceinte se fait sauvagement assassiné de 28 coups de couteau dans le bureau de poste où elle travaille.

C'est la stupeur dans ce village où tout le monde se connaît et connaît bien la postière une enfant du pays.

Très vite les soupçons se portent sur les marginaux du coin et notamment sur Gérald Thomassin qui habite juste en face de la poste.

Meilleur espoir du cinéma français, acteur reconnu par la profession, il délaisse la vie de paillettes pour retrouver les squats la drogue, l'errance et le désamour des autres.

L'enquête s'avère difficile, et sans preuves flagrantes, Thomassin quitte la région et part à Rochefort retrouver sa copine mais on le retrouve sous une tente derrière la gare de cette ville.

C'est en 2014, que les gendarmes l'arrêtent pour le meurtre de la postière après des témoignages l'accusant. Il restera trois ans en prison sans procès puis sera relâché. 

De retour à Rochefort, on perd sa trace en 2019 , on n'a plus jamais entendu parler de lui.

En dehors du fait divers et de cette enquête compliquée, nous sommes plongés dans des histoires de vie, celles des cabossés, des gens qui ne sont pas heureux dans leur vie à la recherche de tout et que rien ne vient apaiser.

Le récit prend une dimension humaine face à ces êtres que la vie a malmenés, malgré les chances données, ils sont restés sur le bord du chemin.

Florence Aubenas nous raconte avec beaucoup de distance et de retenue, les rencontres avec les protagonistes de cette bien triste affaire. 

Que ce soit la vie de Catherine Burgod, jeune et jolie femme insatisfaite mais attachante ou Thomassin au physique si particulier taillé pour les rôles que le cinéma lui a donné, l'auteur dresse un portrait saisissant de toutes ces vies. Elle est sur le terrain, elle sait sonder les âmes.

Sans condamner et avec beaucoup d'élégance, elle nous met face à notre humanité et nous montre les échecs de la société à comprendre les parcours difficiles.

A lire absolument,

Florence Aubenas - L'inconnu de la poste - Editions de l'Olivier - Parution Février 2021 - 256 Pages 

lundi 22 février 2021

Alexandra Matine : Les grandes occasions

 


Au cours d'une journée caniculaire, Esther dresse la table sur la terrasse pour une grande occasion, un déjeuner avec ses quatre enfants et petits-enfants. Marié à Reza un médecin iranien venu en France pour fuir la misère de son pays et les coups de son père, elle vit mal la solitude suite aux départs successifs de ses enfants de l'appartement familial. Surtout celui de Vanessa, la petite dernière, partie vivre en Australie.

Quand son mari a gagné de l'argent, elle arrête son travail d'infirmière à domicile, et se consacre à sa famille, ses enfants.

Au cours de cette ultime journée, Esther fatiguée moralement et physiquement, fait tout pour voir sa famille réunie encore une fois, ensemble, même si les non-dits se sont accumulés et les liens rompus.

Une mère que l'on sent possessive et exclusive, pourtant c'est au cours des souvenirs qu'elle égrène le long de cette longue journée d'attente  que nous découvrons une femme meurtrie, mal aimée, mal comprise et maladroite.

La jalousie est au cœur de cette fratrie divisée. L'aîné Alexandre, le fils préféré du père, le seul. Petit singe savant que son père aime montrer mais qui ne fera pas les études attendues. Carole, la deuxième, elle est là oui mais sa mère est déjà occupée avec le troisième Bruno, celui qui est fragile. Enfants que le père ignore, pas de tendresse exprimée. Il aime à rappeler la dureté de son enfance.

Et il y a Vanessa, la dernière, l'espoir de la mère, ce sera la sienne, mais Vanessa part loin, trop loin.

Esther abandonnée, en attente de tout, tout le temps. Reza  égoïste et inatteignable 

Dans un style poétique et touchant, l'auteur pour son premier roman, plonge dans les abîmes de la famille, de sa déconstruction dans un quotidien tendre mais impitoyable.

Combien il est difficile d'aimer quand la parole ne se libère pas. Qu'il est difficile d'aimer quand les gestes de tendresse restent en suspens et que les mots ne réconfortent jamais.

Pourtant Esther est le pilier de cette famille qui n'arrive pas à se rejoindre.

Chacun dans son coin souffre, les voix portent une histoire ratée.

Ah famille, je vous hais. 

Chaque enfant va reconstruire à sa façon, plus ou moins réussie, une famille à lui qu'il aura choisie.

Un très très beau roman qui nous parle et  montre avec beaucoup de délicatesse combien il est difficile d'aimer juste.

Premier roman réussi et nouvelle maison d'éditions Les Avrils qui font vraiment plaisir à découvrir.

Un coup de cœur assurément.

Alexandra Matine - Les grandes occasions - Editions Les Avrils - Parution Janvier 2021 - 256 pages

jeudi 18 février 2021

Sandrine Collette - Ces orages-là



 Sandrine Collette nous raconte l'emprise psychologique et la violence faite aux femmes. Un thème tristement toujours d'actualité.

Après trois ans d'une relation hautement toxique et dangereuse, Clémence a le courage de fuir Thomas. Pour survivre, elle part et se réfugie loin de lui dans une toute petite maison et essaie de reconstruire sa vie.

Mais comment se reconstruire quand tout n'est que saccage, quand la confiance en soi n'existe plus, quand dehors fait peur.

Avec des mots percutants, l'auteur nous emporte dans la tête brisée de Clémence où tout est compliqué, quand chaque instant gagné montre l'angoisse de ceux à venir.

Clémence ne se remet pas de tout ce que Thomas lui a fait subir. La honte, la douleur et la peur la submergent. Peur de le voir au coin de la rue mais aussi peur de dire oui s'il revient la chercher.

Sa solitude et son angoisse du présent sont si forts, que Clémence se dit qu'il serait plus facile de s'abandonner encore à ce monstre.

Dans un texte âpre et sans fioriture, Sandrine Collette, nous montre l'abîme dans lequel se trouvent ces femmes qui ont eu le courage de partir. 

L'auteur est littérairement habile pour enfermer le lecteur dans un  huis-clos mental et donner au récit une évolution dans l'intensité du quotidien de Clémence. Le lecteur est confronté à une fin surprenante mais chacun a la liberté de l'interpréter.

Une lecture sur la terreur et l'emprise psychologique dans un récit mené au coeur de tous les bouleversements.

A lire !

Sandrine Collette - Ces orages-là - Editions J.C. Lattès - Parution Janvier 2021