je veux encore rouler des hanches,

je veux me saouler de printemps

je veux m'en payer des nuits blanches

à cœur qui bat, à cœur battant

avant que sonne l'heure blême

et jusqu'à mon souffle dernier

je veux encore dire "je t'aime"

et vouloir mourir d'aimer

Barbara

samedi 31 mai 2014

Alessandro Baricco : Mr Gwyn

Qu'est ce qu'un écrivain  ou plutôt qu'est ce qu'un artiste ? Quelle vision de nous mêmes apporte-t- il dans ses œuvres ?
Alessandro Barrico nous envoûte toujours quand il prend, comme ici,  sa plume de conteur pour explorer ses sujets favoris : l'art et la musique au service de la beauté.
Avec ce roman à la fois magique et étrange, il nous enchante par son écriture légère et poétique.
Quadragénaire discret, insolite et surprenant, Mr Gwyn est aussi un écrivain à la mode  dont les textes sont très attendus par son agent et son seul ami, Tom , et par ses fidèles lecteurs.
Pourtant, malgré le succès ou à cause de lui, Gwyn se remet en question et publie dans le Guardian la liste des 52 choses qu'il a décidé de ne plus faire, y compris celle d'écrire.
Mais il n'est pas facile pour lui  de renoncer  à l'écriture, d'empêcher les mots de remonter et de de jouer avec les histoires, d'inventer des scénarios, de faire vivre d'autres vies.
Une rencontre improbable avec une vieille dame et une visite dans une galerie de tableaux l'aideront dans sa reconversion d'écrivain.
A la façon d'un peintre, mais avec les mots, il croquera des portraits, il traquera l'intime, il découvrira l'indicible chez les autres.
Il gagnera sa vie en devenant copiste-portraitiste.
Rebecca son premier modèle, lui vouera une admiration infinie et deviendra son assistante, en recrutant pour lui les candidats dont il écrira les portraits.
Avec un grand souci du détail et de la perfection, Gwyn installe un atelier où musique et lumière aideront les modèles sur le chemin de leur connaissance, les guideront dans le retour "à la maison" et lui donnera la possibilité  de traquer l'intime dans des portraits uniques et vrais.
Pour cela, les commanditaires doivent rester quatre heures dans l'atelier,pendant trente deux jours, être nus et surtout respecter une absolue discrétion.
Entre silences et non-dits, les séances se passent et l'auteur nous captive par l'atmosphère très particulière qui ressort  de ces mises en scène.
Gwyn semble trouver une nouvelle voie, mais l'ultime modèle brise l'équilibre de sa création et le lecteur est entraîné dans une fin très singulière et très littéraire .
J'ai aimé la musique qui plane sur ce livre, la lumière qui émanait de ces lignes magiques où l'auteur nous régale par l'importance qu'il donne aux mots.
Enfin, les mots ont une vie et Barrico nous en  donne une belle leçon.





vendredi 30 mai 2014

Cédric Morgan : Une femme simple

Dans son dernier livre, Cédric Morgan romance la vie de Jeanne Le Mithouard, une bretonne ayant vécu à la fin du 18 ème et début du 19 ème siècle dans le golfe du  Morbihan.
Nous savons très peu de choses d'elle, sinon qu'elle est bâtie comme un géant et impressionne son entourage par son physique. Travaillant comme un homme, elle se loue dans les champs et surtout elle crée un service de transport en mer et devient la première femme batelière.
Dans sa barque elle fait traverser les hommes, les animaux et les marchandises, n'ayant pas peur d'affronter les éléments. Elle est même décorée pour avoir sauver des vies.
L'auteur nous plonge dans une Bretagne âpre et rude au catholicisme farouchement arriéré. Il nous renvoie à une époque où l'illettrisme oblige les femmes à travailler à la ferme ou  à devenir domestique en  les enfermant une fois mariée dans une vie souvent étriquée.
Jeanne épouse Louis, un marin, parti 7 mois en mer pour la pêche en Islande. 
En refusant de rester une femme au foyer, elle surprend par son comportement et devient avant l'heure, une femme libérée.
Elle sait lire et travaille énormément. Sur elle repose la gestion de la maison, de la famille et des malheurs qui bientôt s'abattent sur sa vie.
L'auteur raconte la Bretagne lumineuse mais aussi ses paysages sauvages balayés par les vents et la pluie.
Dans une écriture tout aussi limpide, il donne à son héroïne une personnalité à la féminité puissante qui revendique ses droits et ses sentiments.
Libre et authentique.
J'ai beaucoup aimé passage où le lit clos devient dans le texte un personnage à l'âme éclatante.
Témoin des nuits d'amour entre Louis et Jeanne, il est le refuge d'un lien confiant et réel entre le couple.
Il devient aussi le théâtre d'un amour très particulier quand une nuit, s'invite auprès de Jeanne, une belle visiteuse.
L'auteur nous éblouit par cet épisode incandescent qui résonne comme un ravissement possible pour Jeanne.
Cédric Morgan nous restitue une fresque bretonne, sociale et historique, autour d'une existence simple de femme étonnante.
C'est une très belle histoire et un roman élégant.

lundi 26 mai 2014

Maggie O'Farrel : En cas de forte chaleur

En 1976, Londres étouffe au plus fort de la canicule. Dans la cuisine, un couple de retraités profite de l'air encore un peu frais du matin pour prendre le petit déjeuner.
Comme d'habitude, Robert va acheter son journal, Greta l'attend. Seulement, le mari ne rentrera pas.
Entre stupeur et consternation : comment peut-on disparaître ?, Greta décide d'avertir non pas la police mais leurs trois enfants.
Michael, Monica, Aoife : une fratrie qui a mis les distances entre elle, aussi bien géographique que familiale.
Ainsi, ils se retrouvent dans la petite maison londonienne, et  la disparition de leur père va raviver des moments douloureux de leur existence.
Entre non-dits et mensonges, entre  jalousies et préférences,  les anciennes rancunes remontent à la surface et frère et sœurs ont du mal à se retrouver.
C'est en partant sur les traces de leur père, en Irlande,  à la découverte d'un secret de famille enfoui, qu'ils renoueront avec la vie, profitant du passé pour apaiser, enfin le présent.
Comme toujours Maggie O'Farrel possède cette écriture tout en finesse qui plonge au plus profond des sentiments humains.
Elle dépeint avec férocité et délicatesse ses personnages n'ayant pas peur de les égratigner.
Gretta la mère et chef de famille, omniprésente et responsable des traumatismes de sa tribu, Irlandaise à une époque où il était difficile de le dire.
Robert un père un peu trop absent, d'ailleurs on le cherche et on essaie de le comprendre durant tout le livre.
Aoife, la plus étonnante des enfants au prénom purement irlandais. Illettrée, faisant tout son possible pour le cacher, elle est avant tout rebelle et incontrôlable.
Tous les trois ont des vies pas franchement réussies mais en partant à la recherche de leur père, ils vont s'accepter et ainsi continuer un peu plus sereinement.
L'auteur nous emmène en Irlande, dans la région du Connemara , et si le lecteur a envie de connaître enfin le secret de Robert, la fin de l'histoire est un peu trop simpliste.
Maggie O'Farrel raconte l'histoire de ces Irlandais ayant fui la misère du pays, le poids de la religion et des racines. Elle le fait avec des mots sensibles et une écriture en douceur.

dimanche 11 mai 2014

Amos Oz : Entre amis

Huit nouvelles très nostalgiques et désabusées composent le dernier recueil d'Amos Oz, "Entre amis". Elles racontent le quotidien le plus ordinaire du kibboutz Yikhat dans le nord d'Israël, pendant la fin des années 50.
Elles peuvent se lire comme un roman, puisque les personnages se connaissent très bien et vont se croiser dans chaque nouvelle.
 "Deux femmes, Entre amis, Papa, Un petit garçon", les titres de ces nouvelles donnent le ton à ce recueil où derrière l'histoire collective se cache l'individu dans sa plus grande solitude.
La vie semble belle au kibboutz et surtout bien réglée. Mais pour les fondateurs,  pionniers de l'état d'Israël, qui ont pu vivre leur rêve de nation, l'état d'esprit n'est plus le même dans la nouvelle génération confrontée à une autre réalité.
Le poids de la vie communautaire empêche les initiatives personnelles et les envies d'ailleurs deviennent intenses.
Comme pour ce jeune garçon souhaitant partir en Italie mais qui doit obtenir l'autorisation sinon il est banni du Kibboutz, ou cette jeune femme qui demande que soient attribuées aux femmes d'autres tâches que celles de ménage, de couture ou de puériculture, ou ce petit enfant qui veut dormir le soir chez ses parents et non pas dans la maison des enfants.
Oui en apparence tout se déroule normalement dans cette organisation communautaire égalitaire.
Mais, des hommes et des femmes sont entraînés dans des mécanismes plus complexes où règnent le désir, l'amour, l'envie, la maladie, la jalousie.

A travers des portraits humains et des descriptions très précises, racontés dans un quotidien tout à fait sommaire, il sort de ces phrases une puissance poétique très forte.
Ces nouvelles hésitent entre légèreté et profonde tragédie poignante. Humour et mélancolie très douce.
Avec un ton très ironique, l'auteur se moque de cette organisation utopique. Il sait très bien en parler puisqu'il y a vécu une trentaine d'années.

samedi 10 mai 2014

Joseph Boyden : Dans le grand cercle du monde

Joseph Boyden possède l'art et la passion de nous faire partager dans ses livres,  la vie des amérindiens au Canada.  A travers des personnages attachants et émouvants, marqués par leurs origines, par leur solitude et entraînés dans cette grand marche du monde où leur vie s'est parfois brisée et leurs espérances perdues.
Avec des mots uniques, des descriptions prodigieuses de la nature, il plonge le lecteur dans une ambiance où la réalité fait la part belle à la magie, aux croyances de ces peuplades oubliées.
Dans "Le grand cercle du monde" trois voix vont prendre la parole, trois vies vont se dérouler sous nos yeux pour raconter un moment de l'Histoire du Canada, où Champlain souhaite créer une Nouvelle France avec une nouvelle ville, Québec.
Nous sommes au 17ème siècle et les échanges commerciaux entre les Blancs et les Indiens deviennent un enjeu politique important. Mais ils sont difficiles et souvent bien inégaux pour ces tribus vivant au rythme de la nature. L'installation des Jésuites auprès de certaines tribus indiennes est source d'incompréhension et de violence.  
Trois narrateurs vont raconter leur point de vue :
Un jésuite d'origine bretonne, Christophe, convaincu du bien de sa mission chez ces peuplades sans foi. Installé avec d'autres missionnaires chez les Hurons, ils vont découvrir un monde hostile où les coutumes sont d'une terrible violence.
Oiseau, le Chef Huron, remplit de haine et de vengeance à l'égard des Iroquois qui ont massacré toute sa famille. Il adoptera comme sa fille, une jeune Iroquoise capturée lors de représailles.
Chutes de Neige, la jeune fille adoptée par Oiseau, qui voue une haine à l'égard des Hurons mais qui reste unie à  la culture indienne et y trouve le réconfort, la source même de sa survie et un certain amour pour son père adoptif.
La brutalité des conflits entre Iroquois et Hurons est décrite avec justesse et précision. 
Le lecteur se rend compte que la présence des Jésuites et l'évangélisation des indiens ne sont pas les seules raisons du déclin des Indiens.
L'auteur comme toujours possède le talent pour alterner la lumière et le désespoir, la violence et la paix, l'amour et la haine.
Le choc de deux mondes, de deux cultures est très bien décrit et l'on comprend pourquoi il ne pouvait pas y avoir de rencontres, de compréhension, d'entente.
Certaines scènes à mon avis sont un peu trop répétitives, comme celles des tortures que les indiens font subir à leurs prisonniers ou certaines descriptions qui deviennent vite documentaires.
J'ai aimé les personnages secondaires comme le compagnon du Corbeau Noir, frère Isaac, Petite Oie ou Renard qui sont plus authentiques dans leur mission ou leur croyance que les personnages principaux souvent trop prévisibles.
Il n'en reste pas moins une maîtrise absolue dans la narration et la construction littéraire.

lundi 5 mai 2014

Isabelle Autissier : L'amant de Patagonie

Même si le dernier roman d'Isabelle Autissier ne parle pas de la mer, il l'évoque beaucoup avec la proximité du Canal de Beagle et de la ville la plus au sud  qui allait devenir Ushuaïa.
La Patagonie, terre hostile et sauvage, aux paysages infinis,aux glaciers bleus grondant et craquant, aux vents infinis,  au confins de la terre, au bout du monde.
C'est là, qu'arrive Emily une jeune écossaise, orpheline sans le sou. Elle a été engagée en qualité de gouvernante auprès de la famille nombreuse d'un pasteur anglais.
Nous sommes en 1880 et l'évangélisation des populations autochtones est un enjeu important dans la colonisation sur cette terre nouvelle.
Emily découvre avec effroi les coutumes des indiens et malgré ses découvertes et son innocence, elle luttera contre les convenances et ses appréhensions et décide de partir avec Aneki, le Yamana.
Leur aventure amoureuse ne résistera pas aux chocs des cultures et devra faire face à la difficulté de vivre dans une contrée aussi sauvage.
Témoin de cet affrontement culturel et moral,  Emily ne veut et ne peut  pas choisir. C'est la liberté qui la pousse, l'amour pour cette terre et ses paysages et l'envie de s'installer durablement en Patagonie.
Au-delà de l'histoire d'amour, c'est un questionnement troublant que nous propose Isabelle Autissier : sur la colonisation, sur l'homme et sa place dans la nature, sur le mélange des cultures.
Sans prendre partie, elle fait avancer le lecteur dans un monde où la rencontre entre les Blancs et les peuplades indiennes a échoué et où chacun s'est perdu dans cette lutte.
Emily a été bannie de sa famille et des siens et aura une audace folle en faisant face au carcan moral de l'époque.
Les Indiens ne pouvaient pas gagner. Leur population est devenue infime et leur mémoire trop oubliée.
L'Argentine commençait son histoire, mais des hommes et des femmes ont aimé cette terre du bout du monde au point d'y rester et d'y vivre.
Isabelle Autissier aime la Patagonie, ça se sent, on est transporté, ébloui, on voit les couleurs, on sent le vent , on entend les glaciers.