je veux encore rouler des hanches,

je veux me saouler de printemps

je veux m'en payer des nuits blanches

à cœur qui bat, à cœur battant

avant que sonne l'heure blême

et jusqu'à mon souffle dernier

je veux encore dire "je t'aime"

et vouloir mourir d'aimer

Barbara

vendredi 27 décembre 2013

Christophe Ono-Dit-Biot : Plonger

Plonger, le dernier livre de Christophe Ono Dit-Biot a été consacré par le Grand Prix du Roman de l'Académie Française. 
L'auteur raconte (ou se raconte) l'histoire (ou son histoire), d'un jeune journaliste critique littéraire reconnu, très parisien et bobo, César, qui tombe amoureux fou d'une jeune espagnole Paz, artiste photographe.
Alors que César lassé et usé d'avoir parcouru le monde pour couvrir guerres et conflits,  n'aspire qu'à vivre tranquillement en Europe, Paz étouffe dans le moindre carcan et ne souhaite que départs nouveaux et lointains.
Une plongée dans l'amour fou et absolu entre une femme aux fêlures extrêmes qui sans cesse s'échappe, fuit et se perd avec volonté et un homme qui essaie, même au prix d'un enfant, de la retenir.
Attirée et fascinée par les eaux profondes et les requins qui y vivent, Paz rejette tout y compris la gloire, pour disparaître au bout du monde au plus près de ces monstres silencieux.
Une bonne description des sociétés en déliquescence, une analyse très juste des conflits politiques et économiques avec l'influence souvent néfaste des puissances dites civilisées et le passage obligé dans ces soirées mondaines où il faut être vu donnent à ce roman un côté réaliste, moralisateur et people.
L'auteur connaît tout ça, il sait de quoi il parle.
Le roman se veut un hommage à l'amour absolu et à la transmission sur fond d'art moderne et d'expression artistique mais les personnages trop caricaturaux et les expressions trop modernes ou trop ampoulées rendent l'histoire trop prévisible au risque d'être affligeante.
Dommage.

mercredi 11 décembre 2013

Ian Mcewan : un bonheur de rencontre

Un couple, Mary et Colin, se trouve en vacances dans une cité lacustre, jamais nommée, et les journées sont faites de langueur et d'ennui manifestes.
La passion a déserté le couple et le quotidien finit de laminer cette relation, transformant la connaissance de l'autre, de son corps, en habitude silencieuse et morne.
Il ne se passe rien et pourtant le lecteur est gagné par cette langueur, par ce manque, cet étouffement qui va crescendo.
Au gré de leurs journées, chacun se parle, s'explique en pensées et rend les échanges troublants et malsains.
La ville devient leur prison, un endroit où se perdre en y perdant son âme. La Sérénissime devient vite étouffement et fin de leur amour.
Aucune magie n'opère  dans leurs  déambulations touristiques, les rues ressemblent à des gouffres et les ombres des menaces.
C'est au cours d'une soirée à chercher un restaurant qu'ils ne trouveront jamais, qu'ils croisent la route de Robert.
Personnage original au départ, il devient vite inquiétant et même très bizarre. Il raconte ses souvenirs familiaux, et dans des circonstances de plus en plus curieuses, leur présente sa femme, Caroline.
Rien n'est anodin dans les descriptions de la ville, de la maison, des quelques paroles échangées.
L'effroi gagne et la folie s'empare des dernières lignes pour laisser le lecteur au bord de tous les précipices.
Sont abordés ici, les thèmes de l'amour-passion, l'amour-amitié mais aussi les rapports inter-sexes violents et consentis même souhaités. Mais c'est  surtout la folie, ultime et irréversible, qui s'empare de la fin du récit et plonge le lecteur dans un mauvais rêve.
C'est aussi la mauvaise rencontre, celle qui fait que jamais plus la vie ne sera comme avant.
Un livre, sans beaucoup d'actions, de dialogues mais  qui met mal à l'aise et laisse comme un goût de cendres.
Ce qu'il y a d'impressionnant surtout cette ville, superbe dans tout ce que l'on peut voir et lire et qui est représentée ici comme le summum de l'ennui, de la mort et de la folie.



dimanche 1 décembre 2013

Karine Tuil : L'invention de nos vies

Samir Tahar est d'origine musulmane et a fait de brillantes études d'avocat. C'est sur un malentendu autour de son prénom qu'il se fait embaucher dans l'un des plus prestigieux cabinets d'avocats de Paris.
Il devient Sam,  juif séfarade, orphelin, et commence à construire son passé sur le mensonge et la dissimulation.
Imposture, pour fuir une banlieue pauvre, une vie de misère, une discrimination sociale,  une famille de l'ombre, imposture pour enfin lever la tête, être reconnu pour ses valeurs et voir le soleil.
Sam est prêt à tout pour réussir, tout.
Son patron voit en lui plus qu'un collaborateur et  lui confie la direction de sa succursale new-yorkaise.
Son mariage avec Ruth, héritière richissime d'une famille juive américaine influente et toute puissante, le hissera dans la sphère des nantis et intouchables.
Opportuniste, séducteur,  Sam reste prisonnier de ses mensonges mais il s'en arrange. Il aime le luxe, les femmes, l'argent, la réussite, la gloire. Il est redoutable dans le milieu professionnel et n'a aucun état d'âme.
Mais des personnes venues de son histoire cachée resurgissent. Nina une femme qu'il a paasionnément aimé il y a 20 ans  mais qui lui a préféré Samuel, son ami d'études, auquel il a justement volé son passé et puis un demi-frère oublié.
Karine Tuil écrit un roman intense sur la réussite mais aussi les faux-semblants, sur le succès et la manipulation , sur ces petits arrangements que chacun s'autorise. Elle nous entraîne dans une spirale infernale où l'appartenance à une communauté est condamnable et le racisme social exacerbé.
Elle nous montre la notoriété inhumaine et la déchéance totale sur fond de puritanisme américain poussé à l'extrême où la vie d'un individu est pillée, piétinée sans égard.
Une écriture vive, qui bouscule au début et rend la lecture impérative. Le style est saccadé, original et les notes en bas de page confèrent une authenticité dans le récit.
On est happé par l'intensité de l'histoire, par le rythme incessant et la chute qui n'en finit pas pour ces personnages complexes et attachants dans leurs doutes, leurs rêves.
C'est aussi une histoire sur l'amour, celui que l'on donne ou pas, celui que l'on reçoit ou pas, et sur ceux qui sont aimés ou pas.


lundi 25 novembre 2013

Léonora Miano : La saison de l'ombre

Récompensé par le Prix Femina 2013, le septième roman de l'écrivain camerounaise Léonara Miano, "La saison de l'ombre" plonge le lecteur dans les profondeurs de l'Afrique Subsaharienne au 17ème siècle, début de la traite négrière.
Elle raconte dans une écriture soignée, envoûtante, parfois compliquée, l'histoire de l'Afrique et celle du peuple Malango devant l'effondrement de son monde et l'arrivée du malheur.
Suite au "grand incendie" qui a ravagé le village et constaté la disparition d'une dizaine de jeunes hommes récemment initiés, les mères de ces disparus, sont placées en isolement, afin de ne pas porter le malheur aux rescapés. Magie, sorcellerie ou guerre de clans, le chef visitera une tribu voisine, les Bweles, pour en savoir plus et les retrouver.
Une "ancienne" aussi quittera pour la première fois son village et ira à la rencontre de ces peuplades de la Côte et de ces Blancs venus du nord par la mer, surnommés Pieds de Poule,  et qui contractent de bien cruels arrangements. Comprendre, voir pour pouvoir transmettre et raconter.
La découverte de l'enlèvement des hommes pour le travail forcé avec le consentement d'autres tribus locales pour protéger les leurs, l'échange de commerce contre des  armes, alcools et bijoux de pacotille mettront le chaos dans un monde qui vivait tranquillement.
C'est de la traite négrière dont il est question, et l'auteur avec beaucoup d'audace affronte et fouille un passé dérangeant puisqu'il nous parle du sol africain.
Oui tous les peuples possèdent des hommes valeureux,  courageux, mais aussi des hommes qui "collaborent" pour sauver leur vie ou pour s'enrichir.
La race humaine réunie ici est intemporelle et on le sait, elle est capable du meilleur comme du pire.
Un récit intéressant qui en dit long sur la place laissée aux femmes et de leur rôle dans la communauté, ainsi que des relations entre les vieux et les jeunes, le culte des morts.
Passé les mots locaux, non traduits,  la multitude de noms, prénoms qui se ressemblent , l'écriture peut paraître difficile d'accès. Passé l'austérité que peut représenter ce style, on est envoûté et la lecture devient alors initiatique.


jeudi 21 novembre 2013

Ivan Macaux : Il Babbo

A la fin des vacances passées dans la maison familiale maternelle du Var, un père et son fils embarquent à bord d'une antique voiture pour rentrer à Paris.
Dans cet habitacle restreint, l'occasion leur sera peut-être donnée de pouvoir enfin se parler, communiquer et ainsi apaiser les malentendus non-dits familiaux.
Mais les échanges sont âpres et difficiles, et le voyage permettra au fils de convoquer ses souvenirs d'enfance.
Entre une mère lumineuse et brillante, amoureuse de son mari et son père, surnommé par elle, Il Babbo ( le père en italien), le narrateur se souvient d'un homme fantasque et peu présent.
Toujours à la recherche d'une affaire florissante, il s'est trouvé et a mis sa famille  dans des situations difficiles.
Des meubles enlevés par des huissiers, au  souvenir d'une grand-mère originale et très  bourgeoise, le jeune homme se rappelle  l'inconséquence de son père, moqué par sa famille et l'incommunicabilité entre tous les deux.
Un huis clos nourri par un road-movie insolite où l'auteur s'amuse avec les mots, les situations et les événements parfois "people".
Citant  ce qu'il aime (Zweig, De Gaulle) ou pas (Lady Di), Macaux nous sert un texte vif et scandé où se mêlent réflexions intimes et prouesse littéraire .
Difficile d'avoir des parents trop tôt, c'est un peu le message de ce livre. 
Un petit bémol quand même, la narration peut lasser justement par ce mélange de genres et de style, et les réflexions décalées apportées au récit coupent trop la lecture.







lundi 18 novembre 2013

Dario Franceschini : Dans les veines, ce fleuve argent

Ce livre  paru en 2008 plonge le lecteur dans une atmosphère très particulière. C'est un moment de lecture intense et paisible à la fois et aussi  une réflexion sur la vie et la mort.
Primo arrive à la fin de sa vie, et lui revient alors une question qu'un ami d'enfance, Massimo, lui avait posée quelques quarante ans auparavant. Il connaît maintenant la réponse, et il n'a qu'une idée en tête le retrouver et la lui dire.
Pour cela il quitte, son épouse, sa maison et prend la route et longe ce fleuve que tous et toutes redoutent et admirent, tremblent devant ses colères et jouent de sa douceur, le Pô.
Nous voilà dans l'Italie profonde, rurale à une époque où les gens se déplaçent à vélo ou en charrue, où les rencontres restent inoubliables.
Tout au long de ce chemin, surgissent  des personnages étonnants et troublants, traînant le fil des souvenirs d'une jeunesse passée, d'une époque révolue, Primo se souvient : le  vieux magicien mort sans doute et pourtant c'est lui qu'il entend..., les amours anciennes.
Son compagnon de route n'est pas en reste, il évoque les colères du fleuve, ses débordements, ses ravages mais aussi la langueur l'été quand l'eau a oublié de tomber, mais aussi ce village curieux où les habitants perdent chaque jour la mémoire de la veille. 
Remonter le fleuve, remonter sa vie, répondre à une question, attendre la mort, tout est là dans une écriture intimiste entre demi-teinte et non-dits.
La fin est trop violente dans sa netteté mais laissez vous porter, c'est une époque passée où les gens savaient encore se raconter des histoires pour aimer la vie.

vendredi 15 novembre 2013

Nicolas Clément : Sauf les fleurs

Voici le premier et court roman, 76 pages, de Nicolas Clément, et un charme absolu se dégage, le coup de coeur emballe la lecture. 
Terriblement beau et terriblement  triste.
C'est l'histoire de Marthe, la narratrice, entre douze ans et vingt ans. Elle raconte sa vie simple à la ferme , entre ses parents et son petit frère Léonce.
Cruellement banale sa vie,  jusque dans les coups que porte le père sur la mère et sur les deux enfants. Au bout du jour, au bout de toutes les nuits, il frappe, cogne, insulte.
Des maux quotidiens qui chavirent la vie  et deviennent dans la bouche de Marthe des mots magiques et absents.
Elle raconte ce qu'elle souffre mais aussi le possible permis par son institutrice et la lecture d'Eschyle, les mots comme échappatoire d'un quotidien qui esquinte.
Et puis la rencontre avec l'amour, l'échappée vers le bonheur et le lendemain qui chantera.
Enfin on espère...
Mais le malheur rattrape et frappe, fin de l'histoire.
Ce qui surprend dans ce roman, c'est la beauté du texte, les phrases courtes, scandées comme dans uns souffle. Les mots ou plutôt des non-mots bouleversent comme des non-dits, des non-vies. La beauté qui frôle la noirceur avec candeur et émotion vive.
Le ton du récit nous fait penser à un conte, l'épure magnifie le texte, et le lecteur est rempli d'une écriture pleine  de poésie et de sensibilité.
Le style est vraiment surprenant, la plume délicate.
La littérature quand elle bouscule, c'est bien non ?
Un auteur à suivre.

vendredi 8 novembre 2013

Pierre Lemaître : Au revoir là-haut

Lauréat du très prestigieux et très convoité Prix Goncourt 2013, Pierre Lemaître a été honoré pour son roman "Au revoir là-haut". Epoustouflante fresque romanesque sur le destin de deux poilus, improbables amis et pourtant frères à tout jamais. Liés par la guerre, les blessures et la solitude, ils resteront liés à jamais.
Si cet ouvrage ne fait pas partie du genre littéraire qui a fait la renommée de l'auteur, c'est à dire le polar, il est en tout cas une incroyable aventure humaine.
L' écriture haletante à la gouaille insolente, frôle intelligemment l'humour  et le macabre, l'Histoire et les règlements de compte tout a fait personnels.
Une écriture vive, intense qui tient le lecteur par ses rebondissements et ne le lâche plus jusqu'à une fin, non convenue, qui donne à ce roman une dimension de réquisitoire.    
Sur fond d'arnaque aux monuments aux morts (fictive) et sur fond de scandale financier dans les exhumations des corps (réel) le roman débute deux jours avant l'armistice de 18, autant dire la fin de la guerre et se termine en 1920, à la première commémoration de cette guerre.
Trois personnages occupent la scène de cette immense boucherie, pendant  une des dernières offensives sanglantes contre les allemands : le lieutenant Pradelle, vaniteux et dangereux opportuniste , et deux poilus Albert et Edouard dont les origines sociales diffèrent mais dont les destins sont soudés pour toujours.
Témoin malheureux d'une monstruosité que seule la guerre et la vanité peuvent révéler chez un hommetel que le lieutenant Pradelle, Albert aurait dû mourir pour cela. Edouard, dans un acte de bravoure le sauve et devient par son héroïsme, gravement blessé au visage. Il devient une des ces nombres Gueules Cassées qui hanteront les années après guerre.
Rien n'est épargné au lecteur de la souffrance physique et morale de ces deux amis, de l'odeur pestilentielle des hôpitaux surpeuplés, des combats d'une intense violence, de cette sauvage boucherie. On sent, on voit, on touche presque cette peur avant les assauts. On éprouve pour ces jeunes soldats une grande empathie.
Incapable de les prendre financièrement  en charge, l'Etat manque de totale reconnaissance.
Pourtant dans ces moments de guerre, certaines s'enrichissent, truandent, escroquent. Le lieutenant Pradelle en fait partie.
Le lecteur suit la vie de ces trois protagonistes, qui se croisent, s'épient, se terrorisent aussi.
La guerre est vue comme une farce macabre et les hommes politiques sont pathétiques.
Il y a beaucoup dans ce livre sur les relations difficiles entre un père et un fils artiste et original, entre une mère et un fils timide et réservé, sur la vengeance et  l'ambition à tout prix.



mercredi 23 octobre 2013

Louise Erdrich : Dans le silence du vent

Chantre de la culture amérindienne, Louise Erdrich, parle sans détour avec beaucoup d'âme et une grande sensibilité de ses origines et de ses ancêtres.
Le peuple indien, fier et glorieux, dont les croyances et les coutumes parlent magie et tolérance, s'est vu piétiné et parqué pour que naissent les États-Unis d'Amérique.
Louise Erdrich redonne la parole à ces oubliés, cette autre Amérique et  que l'Histoire n'a pas cessé de bafouer.
Elle est la voix de ce peuple indien meurtri, en rendant dans chacun de ses livres un vibrant hommage de mémoire pour sa culture humiliée.
Dans son dernier livre, elle mêle une fois de plus fiction et enquête sur les faits et la vie dans une communauté Ojibwa. Elle  raconte les injustices subies par les Indiens en raison du flou juridique existant entre la loi fédérale et la loi tribale, et  l'augmentation importante des viols commis sur les Indiennes.
Nous somme en 1988, et Joe est une jeune adolescent de douze ans. Il vit avec ses parents dans une réserve située dans le Dakota Nord où il est né.
Un dimanche après-midi, sa mère rentre à la maison, en sang, hagarde, blessée. Elle vient d'être violée et sombre peu à peu dans un mutisme total.
Son père, juge aux affaires tribales, dépose plainte et demande à la justice de faire son travail.
Mais le viol d'une Indienne n'intéresse pas vraiment la police et c'est Joe aidé de ses copains qui va mener l'enquête.
Il est prêt à tout pour venger le mal fait à sa mère, et ce qu'il découvrira le bouleversera à jamais.
Avec beaucoup de talent, l'auteur nous fait partager les sentiments et colères des protagonistes de cette sombre histoire.
Avec des mots justes et une prose bien menée, elle raconte le viol et la souffrance de cette mère de famille, et rend compte des difficultés à découvrir la vérité quand on appartient à une minorité déchue.
Nous sommes touchés par cette famille paisible que la violence et l'injustice font voler en éclat.
Les personnages sont attachants dans leurs coutumes et les difficultés qu'ils ont pour vivre entre deux mondes.
Un très beau livre à l'univers envoûtant où la naïveté de l'enfance s'efface devant le poids du souvenir et du silence.



lundi 21 octobre 2013

Léonor de Récondo : Pietra Viva

Dans son dernier livre, Léonor de Récondo s'empare de six mois de la vie de Michel-Ange.
Rome 1505 :  il a 30 ans et sans être encore cet immense créateur de génie qu'il deviendra, il a acquis une certaine notoriété pour son David et surtout sa Piéta.
Dans la morgue d'un couvent romain, il effectue des travaux de dissections. Alors qu'il va commencer son travail, il découvre le cadavre d'Andréa, un jeune moine dont la parfaite beauté l'avait bouleversé.
Dévasté, il quitte Rome et se rend à Carrare choisir le marbre du tombeau que le pape Jules II lui commandé.
C'est surtout un génie tourmenté, solitaire, irascible,  écorché vif qui arrive au village.
 Il aime la solitude, même s'il sait qu'elle lui est néfaste. Ce séjour dans le milieu simple des carriers, sera pour lui l'occasion de se souvenir et de trouver la paix.
Un séjour qui se transforme en quête intime et lui permettra de retrouver le souvenir de sa mère.
Sa rencontre avec trois personnages, Topolino le tailleur de pierre (il a réellement existé), un fou qui se prend pour un cheval et un orphelin de 6 ans,  simples et attachants provoque chez lui des sentiments nouveaux.
Au milieu des carrières de marbre, au son des ciseaux qui coupent la pierre, dans cette lumière  de soleil et de poussière, dans cette chaleur qui donne des visions, il redevient humain.
Au delà de l'Histoire, l'auteur rend hommage à un artiste dont la vie a été remplie par la recherche de la perfection et de la beauté absolues dans ses oeuvres.
La description de la Toscane et des carrières de marbre blanc tranchant sur les montagnes vertes illumine ces pages remplies de poésie.
L'auteur essaie de comprendre les doutes et les angoisses d'un artiste qui a choisi la création comme ligne de vie.
Un génie à l'imagination exceptionnelle  qui donnait la vie à des personnages sortant des falaises. La Pietra Viva (la pierre vivante), ce marbre blanc de Carrare qu'il a travaillé à la perfection pour en faire les plus belles de ses sculptures.
Ce livre est une pure merveille. 

dimanche 20 octobre 2013

Valentine Goby : Qui touche à mon corps, je le tue

     Par un titre qui résonne comme une menace glaçante, les mots de Valentine Goby nous plongent dans le destin et l'intime de trois personnages hantés par la même question : l'avortement. Si leurs parcours diffèrent, ils seront liés malgré eux le temps d'une journée, dès l'aube, de l'année 1940.
     Alors que la nuit n'est pas tout à fait achevée et que l'aube n'a pas commencé, Lucie L., une jeune femme mariée, issue d'un milieu social aisé, se tord  de douleur dans son lit, sans un cri, elle souffre. Elle avorte, elle est seule. Elle refuse cette grossesse et ne parlera pas de son choix à son mari. 
     Une femme malheureuse qui a choisi un avortement clandestin et les risques mortels pour  trouver la voie de la renaissance.
     Au même moment, en prison,  Marie G. espère une journée supplémentaire de sursis  et d'espoir. 
On l'appelle une faiseuse d'anges, une femme qui avorte. Emprisonnée, elle va être condamnée à mort.  Accusée d'être une mauvaise mère, mauvaise épouse, mauvaise femme, mauvaise tout court, elle sera l'exemple du Maréchal Pétain prônant l'amour de la famille et veut le montrer par son refus de grâce présidentielle. Elle sera exécutée.
     Et puis, il y a Henri D., le bourreau, l'exécuteur, celui qui applique la loi , un père de famille dont le fils s'est suicidé, son passé douloureux le rattrape et ses relations particulières avec son épouse le tenaillent.
     Entre ombre et lumière, entre souvenirs chaleureux et présent de souffrance, entre regrets et remords, chacun de ses trois héros raconte son histoire la plus secrète, sa douleur la plus profonde.
l'omniprésence de l'amour maternel et familial  qui représente la cause de leur manque d'aujourd'hui.
     L'écriture est âpre et sensible à la limite du supportable. Les détails de la journée de ces trois personnages sont douloureux de vérité.
     L'anonymat les rend plus réels encore. Un roman d'une grande noirceur pour dénoncer ce droit que la société s'octroie pour juger, condamner, diffamer les femmes dans leur choix d'avorter. 
     Deux femmes dans ce livre, victimes et condamnées au bord de tous les gouffres. L'homme est celui qui exécute.
     Beaucoup de sujets sont évoqués dans ce livre, sujets profonds sur le droit de disposer de son corps.
     Qui touche à mon corps, je le tue fait partie de ses livres qui ouvrent à la discussion, même si la lecture est dure, le style sec et âpre, l'atmosphère noire, c'est un livre fort qui questionne.

mercredi 16 octobre 2013

Thomas B. Reverdy : Les évaporés

     Thomas B. Reverdy, connaît bien le Japon et il sait en parler ou plutôt il l'écrit bien. 
     L'histoire ou plutôt les histoires se déroulent un an après le tsunami dévastateur et la catastrophe nucléaire de Fukushima qui a suivi.
     L'auteur avec talent utilise ces faits réels et les juxtapose avec une fiction remarquable. Les descriptions faites de la zone ravagée appelée "la décharge" ou  de la visite de la ville de Kyoto haut lieu de l'immuable culture japonaise  ou des bas fonds de Tokyo dans le quartier de San'ya donnent au récit un bouleversant témoignage de la réalité actuelle. Essai, roman, poésie, il y a tout ça dans cette écriture magnifique.
      Quatre personnages vont alterner dans un récit rythmé et rapide,  nous entraînant dans une fuite chacune différente.
     Rendant hommage au poète américain Richard Brautigan, passionné du Japon lui  aussi,  l'auteur nous raconte un roman japonais. Sombre et mystérieux, il nous fait découvrir un monde extrême, oriental et désenchanté.
     Yykiko vit en Californie, elle a quitté le Japon il y a 15 ans  y laissant ses parents. Aujourd'hui elle apprend que son père a disparu sans laisser d'adresse ni d'explication. Accompagnée d'un ex petit ami américain, détective et poète à ses heures, elle retourne dans son pays pour essayer de découvrir la vérité et retrouver son père.
     Le père, surnommé désormais Kaze, suite à son licenciement déménage une nuit, et disparaît. Il veut comprendre pourquoi son patron, satisfait de ses services, l'a pourtant  congédié avec menaces.
     Sur sa route, il croise, un jeune garçon Akainu errant  lui aussi, témoin d'un meurtre sordide effectué par la mafia, il est obligé de fuir.
     De plus en plus de gens disparaissent au Japon sans laisser de trace. La police ne les recherchent pas, on les appelle les Evaporés. Nom mystérieux pour une fuite préférée au suicide, qui entraîne le déshonneur sur la famille et l'impossibilité d'un retour. Les évaporés redémarrent une autre vie ailleurs. La cause est souvent des dettes, des licenciements, une autre femme, une envie d'ailleurs.
     Chaque personnage raconte son histoire douloureuse, l'absence qui fait mal, les traumatismes d'une vie et la reconstruction difficile.
     Ce roman est étonnant par sa sensibilité et sa poésie, par la maîtrise de la phrase donnant à une description réelle des dimensions de songe ou de vision.
     Un seul bémol, je trouve, le personnage du détective et poète américain un peu trop caricatural dans son alcoolisme et ses lamentations amoureuses.

lundi 14 octobre 2013

Sylvie Germain : Petites scènes capitales



A travers 49 scènes de la vie de Lili-Barbara, Sylvie Germain construit un roman d'une très grande sensibilité où les questionnements de la petite héroïne sur la mort, l'amour, la foi , la famille correspondent aux thèmes préférés de l'auteur dans son oeuvre.
Un roman sur l'existence douloureuse d'une petite fille meurtrie, Lili, qui deviendra Barbara, une jeune femme en recherche d'apaisement. Barbara son prénom, jamais prononcé.
Lili a grandi jusqu'à cinq ans entre son père et sa grand-mère. De sa mère, il ne reste , qu'une photo en noir et blanc que la petite fille fixera à jamais dans sa mémoire. Sa mère qui s'est enfuie peu de temps après sa naissance, qui a disparu dans une vie sans elle et qui est morte un jour, noyée. Une mère sans cesse recherchée, sans cesse questionnée et dont l'absence hantera toujours la petite fille.
Un jour, son père se remarie à la très belle Viviane, mère de quatre enfants, Viviane, si pleine de beauté aux fêlures profondes.
 Lili n'arrive pas à trouver sa place dans cette famille exubérante et insolite. Elle veut capter l'amour paternel, l'amour d'une tribu qu'elle n'a pas choisie.
C'est la vie ordinaire d'une famille recomposée dans les années soixante et qui se décomposera sous les yeux de Lili, une vie remplie de joie et de drames où chaque événement lui donne pourtant l'impression d'occuper un "strapontin dans ce théâtre affectif familial".
Captivant dès les premières lignes, ce roman reste empreint d'une certaine noirceur dans la quête existentielle de Lili qui ne trouvera pas vraiment de réponses.
Le style nous régale par sa grande richesse, ses mots et une recherche permanente de l'esthétique. 
La vie tout simplement, ce qu'on en fait et puis ce que l'on cherche et les autres, tous les autres.




mercredi 9 octobre 2013

Hélène Grémillon : La Garçonnière

     1987, Buenos Aires, 11 ans après la junte et ses horreurs,  hommes et  femmes essaient de vivre malgré les souvenirs qui leur abîment l'âme et les empêchent de poursuivre un quotidien qui  a perdu toute sa saveur.
     Quand la parole et les mots dits dans le cabinet d'un médecin aident et libèrent, les blessures demeurent au plus profond de l'être humain et le passé ne peut s'effacer.
     Hélène Grémillon s'inspire de faits réels et écrit  dans son deuxième roman une histoire complexe et sensible, sur fond de mémoire et de jalousie, une enquête sur l'Histoire et les hommes qui la construisent et la souillent.
     Un roman à tiroir où le lecteur se laisse emporter dans un suspens qui va crescendo  et se termine par une fin inattendue et dérangeante.
     Une femme Lissandra est retrouvée morte, défenestrée,  au pied de l'immeuble où elle vit avec Vittorio, son mari psychiatre. Tout porte à croire qu'elle s'est suicidée et pourtant tout accuse le mari du meurtre de son épouse. La police l'arrête.
     Une de ses patientes, Eva-Maria, va mener l'enquête pour prouver son innocence.
     En l'interrogeant, elle découvre un autre homme, met à jour des zones secrètes, mais  elle écoute surtout  les cassettes enregistrées de ses derniers patients. 
     En retranscrivant les entretiens, elle pénètre dans l'intime de trois personnes,  mais aussi dans l'Histoire. L'émotion est forte, sa fille a disparu pendant les heures sombres de son pays, elle boit pour continuer.
     Mais elle comprend aussi que si les victimes sont nombreuses, les bourreaux le sont aussi et ce qu'elle entend la bouleversera à jamais.
     Que ce soit la patiente ne supportant pas de vieillir et hait les jeunes femmes, à l'ancien militaire (bourreau ?) malheureux dans son couple ou de l'ami du psychiatre torturé, l'histoire de Lissandra, envoûtante danseuse de tango,  les témoignages alternent dans un rythme incessant.
     La construction est haletante. Les personnages se croisent entre lumière et ombre, entre quotidien et Histoire, entre amour et jalousie. Le lecteur devient suspicieux et se retrouve en totale immersion. 
     Un récit très fort.
    J'ai aimé ce roman intelligent, d'une grande finesse dans son élaboration et son style.



vendredi 4 octobre 2013

Laura Kasischke : Esprit d'hiver

"Quelque chose les avait suivis depuis la Russie, jusque chez eux", c'est avec cette phrase étrange et une envie forte et obsessionnelle de l'écrire, qu'Holly s'est réveillée en ce matin de Noël. Une phrase qui reviendra comme un frisson et une malédiction tout au long de ce huis-clos pétrifiant.
Nous sommes dans le nord de l'Amérique, une ville bloquée par la neige, le vent, la glace, un blanc enveloppant comme un linceul, une maison dans laquelle une mère et sa fille de 15 ans,  vont se découvrir dans un face à face terrifiant.
Agée de 15 ans Tatiana a été adoptée dans un orphelinat russe au fin fonds de la Sibérie par Holly et son mari, ressortissants américains. Les images de cet endroit, mouroir d'enfants abandonnés et en maltraitance, a longtemps hanté Holly qui a fait tout son possible pour les occulter.
En ce jour de Noël, bloquées dans cette maison par la neige et le blizzard, les heures sombres et les souvenirs douloureux les heurtent, le quotidien tranquille bascule progressivement dans le drame.
La tension est palpable et l'affrontement inévitable. Holly perd le contrôle et Tatiana devient inaccessible.
Laura Kasischke mène avec une précision chirurgicale, un thriller psychologique où le lecteur assiste au naufrage  d'un amour passionnel entre une mère et sa fille. L'auteur sait très bien installer dans ses livres une ambiance inquiétante. Ici elle est glauque et morbide. La fin glaciale.
Entre psychose et folie, le lecteur est entraîné dans une journée qu'il n'est pas près d'oublier.
Un petit bémol, peut être que les scènes domestiques, dans la cuisine avec les repas en préparation, le ménage, m'ont un peu ennuyée mais c'est tellement empreint d'étrangeté.....
En tout cas à lire...avant Noël






lundi 16 septembre 2013

Augusten Burroughs : Courir avec des ciseaux

   

   Augusten Burroughs  nous livre son enfance et son adolescence meurtries et malmenées en racontant les événements crûment, sans émotion ni distance.
      C'est un véritable choc de lecture, et l'auteur utilise une grande dose d'humour et de dérision pour relater les expériences désastreuses qu'il a subies. C'est un chaos total de perversion, une atmosphère glauque dans laquelle aucune construction mentale et physique d'un enfant ne peut advenir.
      Rire pour ne pas pleurer.
      L'auteur revient donc sur son enfance entre une mère lesbienne et complètement folle et un père absent en plus d'être dangereusement alcoolique . A la suite de leur divorce douloureux où rien ne lui est épargné des scènes épouvantables, sa mère le confie à la famille du psychiatre qui la soigne, le docteur Finch.
       Adopté par la famille, il va vivre une adolescence où "le problème c'est que  personne ne lui dira ce qu'il faut faire mais surtout ce qu'il ne faut pas faire".
      Et là, le lecteur pénètre dans un univers encore plus déjanté et psychotique que celui des patients que ce fameux docteur soigne.
      En effet, Finch prône une totale liberté sexuelle pour les enfants et de ce fait livre sa fille de 13 ans à un patient de 40 ans, il entretient des relations intimes avec ses malades,  il offre des cocktails de médicaments à Augusten pour ne pas aller en classe. Et c'est avec son consentement qu'Augusten, à peine pubère, aura sa première expérience sexuelle avec un ancien patient âgé de 30 ans.
      Tout dans cette famille est déjanté et le retour de la mère d'Augusten dans sa vie correspond à  quelque chose d'effrayant d'irresponsabilité.
       Le ton reste pourtant enjoué, et l'auteur ne met aucune distance dans ses propos et dans le ton.
      Le lecteur constate alors que le seul moyen pour lui de survivre et de comprendre, c'est de tout noter dans son carnet, écrire pour ne pas oublier, écrire pour continuer. L'écriture pour continuer.
     Comment les adultes détruisent parfois, abusent sans y prendre garde et comment les enfants essaient de grandir ensuite. 
     Auguten Burroughs dit tout et le dit avec un humour dramatique et un ton qui fait de lui un écrivain remarquable.
      
      
      

vendredi 13 septembre 2013

Véronique Ovaldé : La grâce des brigands

Dans son huitième roman Véronique Ovaldé nous emporte dans la fulgurance d'une vie, celle de Maria Christina fuyant une famille austère et hermétique , entre une mère bigote et folle, un père indifférent frisant l'autisme et une soeur débile et jalouse, pour devenir la secrétaire-maîtresse d'un écrivain flamboyant sur le retour dans la Californie des années 1970. 
Elle a grandi dans le nord canadien, froid et brumeux, à Lapérouse, une ville improbable, dont elle a eu envie très tôt de s'éloigner.
L'obtention d'une bourse d'études lui permettra de s'installer loin sous le soleil et de réaliser ainsi ses rêves de petite fille.
Talentueuse et célèbre grâce à son roman, "la vilaine soeur", le passé la rattrape alors par le coup de fil de sa mère dont elle était sans nouvelle depuis plus de 10 ans.
C'est son voyage de retour vers le grand nord, dans son ancienne maison "rose" qui lui donnera l'émancipation complète  de tous les carcans qui la retiennent encore malgré elle.
A travers la voix d'un narrateur inconnu, originale note littéraire, nous entrons dans la vie d'une jeune fille attachante dans sa volonté de vivre libre. Nous découvrons une jeune femme désabusée aussi, prise au piège d'un écrivain mondain et trop pygmalion mais qui l'aidera  à se réaliser dans l'écriture.
Véronique Ovaldé, dresse le portrait d'une femme avant tout moderne à la limite de la désillusion.
Les réflexions de son héroïne sont pertinentes et drôles et la découverte de la sexualité dans les bras de ce vieil écrivain est à la fois triste et très caustique.
Mais tout est dit dans une phrase peut être la plus importante du livre (enfin pour moi) : "Les livres servent, comme on le sait, à s'émanciper des familles asphyxiantes"
Hommage est rendu ici dans ce livre à la lecture et à l'écriture et c'est très bien.
    

lundi 9 septembre 2013

Claudie Gallay : Une part de ciel

Il y a Carole, Philippe et Gaby, frère et soeurs éloignés par la vie, par le choix aussi de Carole de partir, il y a 10 ans, de quitter Val de Seuls, hameau situé près du parc de la Vanoise.
Trois semaines avant Noël, elle revient parmi les siens, attendre leur père. Signalant à chaque fois son retour d'escapade par l'envoi d'une boule enneigée,  ils se retrouvent là comme avant, comme le faisait leur mère à attendre le retour du père prodige. Des boules enneigées, symbole d'une fin d'abandon, l'impression que tout va reprendre sa place. C'est vrai que la collection de boules est impressionnante !
Comme toujours dans une famille, il y a des choses à raconter, à ressasser, à rappeler. Pour  trouver et se retrouver aussi, en levant les non-dits et l'éternel secret familial littéraire, qui fait du lecteur un ami de ces personnages un peu secoués.
Carole vit à Saint-Etienne tandis que Philippe et Gaby sont restés dans la montagne. Chacun son chemin, sa route et pourtant dans l'attente d'un père toujours sur le départ,  les souvenirs effleurent, l'enfance est loin et le temps a passé, pour qui pour quoi ?
Même si Claudie Gallay nous habitue avec ses personnages au parcours douloureusement difficiles, elle nous émeut toujours par les histoires fortes qu'elle écrit.
Que ce soit le combat pour sauvegarder une région d'un modernisme ravageur ou le rêve de Philippe de baliser le passage d'Hannibal sur son éléphant dans la région, ou de la fidélité de Gaby à Ludo petit voyou, en passant par Carole et sa traduction de la vie de Christo artiste et porte parole de l'art éphémère, le lecteur prend part à la vie de ces hommes et femmes.
Roman de l'intime, il est servi par la plume complexe et douloureuse de Claudie Gallay.
Elle a le talent de taire et de ne pas s'attarder sur ce qui fait souffrir et donne l'importance aux gestes les plus communs.
Toute comme la vie, remplie souvent de rien, parce que trop fait souvent mal.



samedi 7 septembre 2013

Valentine Goby : Kinderzimmer

   Le livre débute dans une classe de lycéens avec l'intervention de Françoise, rescapée du camp de concentration de Ravensbrück. Elle raconte pour que l'oubli n'arrive jamais.
   Mais les souvenirs l'envahissent et elle redevient Mila la résistante, toute jeune femme, arrêtée en 1944 et mise dans un train avec 400 autres. Passionnée de musique et enceinte, elle arrive au camp et découvre l'innommable, l'inconcevable.
   Le quotidien est décrit, dépouillé, détaillé dans les plus petits gestes de survie de Mila et de ses compagnes d'enfer.
   Les mots frappent, happent, salissent pour dire la violence, la peur, la faim, le froid, les coups. De l'Apppell à 3 h 30 dans la nuit, la glace, la neige au coucher dans des châlits grouillant de  la pire des vermines, Mila découvre une nouvelles existence, apprend un nouveau vocabulaire, des codes qu'aucune civilisation ne pourra jamais écrire.
   La solidarité, infime et fragile, réchauffe et permet de rêver, la Marseillaise murmurée et les recettes de cuisine récitées sur le ton d'un humour désespéré permettent à ces femmes la traversée de l'horreur.
   Mila accouche et découvre la Kinderzimmer, la chambre des enfants. Dans un autre lieu, un autre temps c'est l'évocation de tendresse, d'amour et douceur infinie. Ici, Mila est confrontée à  l'autre réalité, celle du camp, des bébés de trois mois pas plus, ils sont vieux déjà, à bout et en manque de tout.
   Avec cette naissance, c'est un peu de la normalité d'avant qui entre dans le camp, un espoir ténu.
   L'écriture de Valentine Goby est remarquable, elle prend le lecteur par la main et lui dit regarde, c'est toi Mila.
   Avec elle, nous apprenons la langue du camp, les mots pour décrire l'abject, la façon de se tenir droite pendant l'Appell et chantonnons aussi pour vivre. Nous sentons, suffoquons les effluves    crasseuses et morbides.
   L'expérience est dure, elle râpe, elle brûle. Le livre devient par ce jeu de syntaxe brillant, ces mots scandés, ces descriptions sans concession, une aventure littéraire.
   Le camp vu par des femmes, par leur corps transformés et mutilés.
   Difficile et impitoyable témoignage où l'oubli ne peut advenir.



mercredi 28 août 2013

Larry Brown : Fay

     Chantre de la littérature du  sud américain, Larry Brown aime donner la voix aux paumés et laissés pour compte que la vie n'a pas épargnés.
     Ses héros sont alcooliques, miséreux, incultes, violents, abrutis par le vide sidéral qui les hante. Ils ruminent dans leur pick-up, fument à n'en plus finir, pratiquent le sexe à outrance et finissent raides morts au pub du coin.
     Une certaine image de l'Amérique.
     Dans ce cinquième roman, l'auteur choisit de suivre les pas d'une toute jeune femme de 17 ans, Fay, et d'en faire son héroïne.
     L'histoire débute par sa fuite de la maison familiale. Ouvriers itinérants  dans les fermes, elle a dû très tôt travailler dur. Sa mère, femme anéantie par une vie de misère et de maltraitance, laisse les pires choses arriver. Son petit frère a été échangé contre une voiture. Son père boit et tente de la violer.
     A moitié illettrée, elle ne connaît rien des codes de la vie, ne sait pas qu'elle est une redoutable dévoreuse d'hommes. Malgré son expérience, elle reste naïve, dans un Sud rempli de personnages abusant des clichés : sexe, drogue, alcool, violence. 
     Tout le long de sa route, hommes et femmes rencontrés l'aideront ou abuseront d'elle plus ou moins, feront un bout de chemin avec elle. Le pire arrive toujours dans les livres de Larry Brown. Il est au rendez-vous plusieurs fois ici.
     Chaque personnage possède une petite vie qu'il remplit comme il peut. Le rêve n'existe pas vraiment et la réalité rattrape beaucoup trop vite.
     Que ce soit le flic Sam, homme sympathique, qui l'aidera en l'installant chez lui et la mettant enceinte, ou Amy son épouse alcoolique qui la considérera un peu comme sa fille ou bien Aaron, beau mec s'éclatant dans la défonce, chacun lui apportera quelque chose à ses dépens. Fay prend des coups mais elle apprend vite.
     Le livre nous entraîne sur une route surchauffée à bord d'un pick-up, bercé par une musique country, nous découvrons un Sud typique et une ambiance très vénéneuse.




 

vendredi 2 août 2013

Larry Brown : L'usine à lapins

A Memphis, Tenessee, l'avenir est plutôt sombre pour les personnages de ce roman du talentueux romancier Américain Larry Brown, disparu  en 2004.
Larry Brown a écrit d'une façon remarquable sur cette Amérique profonde et reste une référence dans la littérature du Sud.
Ses héros dramatiquement humains côtoient la misère, l'inculture, la folie et se trouvent confrontés à la solitude la plus profonde.
A la lisière de tous les chemins, ils essaient de s'en sortir mais sont vite rattrapés par la réalité sordide.
Dans ce roman aux voix multiples, la vie se précipite parce que la mort n'est jamais loin.
 De Melle Muffet, unijambiste employée de maison au service d'un petit chien bizarre et vicieux à Mr Hamburger dont les affaires sont pas très nettes ou  Arthur septuagénaire impuissant mari d'Hélène plus jeune que lui et buvant trop à force d'ennui en passant par Anjalee, mi-prostituée mi-coeur d'artichaut qui collectionne amants et déconvenues ainsi que Wayne, marin boxeur obsédé par Anjalee et rêvant de l'épouser et d'autres aussi paumés et touchants, nous décrivent  une société où le rêve a disparu.
A la recherche d'amour, ces héros malmenés et blessés par la vie  se trouvent confrontés à un quotidien glauque et un avenir inexistant.
Sous la plume de Larry Brown, directe et efficace,  ils deviennent humains dans une normalité effrayante.
La construction littéraire est intéressante, chaque chapitre est consacré à un personnage et même s'ils ne se connaissent pas vraiment, leurs vies se ressemblent dans leur désespérance.
S'ils se croisent c'est pour partager un instant de lumière ou de violence.
Un livre étonnant que l'on ne peut lâcher. Une belle découverte.
Classé dans les polar, je trouve qu'il correspond plutôt à un roman de société noir.




mercredi 17 juillet 2013

Joyce Maynard : Baby Love

Paru en 1981, Baby Love est le premier roman de l'écrivain américaine Joyce Maynard. Devenue la voix de sa génération née dans les années 60, elle s'est imposée par son audace littéraire découverte lors de la parution d'un article dans le New York Times en 1972.
Ici, elle raconte sans fioriture le quotidien de quatre jeune filles de 16 à 18 ans, dont les vies ont été bouleversées par une maternité trop précoce. Elles essaient de devenir adultes dans une société qui ne leur cède rien. Elles se retrouvent à la laverie automatique et se racontent leur quoitidien dans une petite ville paumée des Etats-Unis d'où elles ne sont jamais sorties. Elles connaissent déjà les désillusions de femmes mais possèdent toujours leurs rêves de petites filles. Autour d'elles, gravitent d'autres personnages venant d'horizons différents et dont les parcours ne sont pas plus clairs.
Entre un meurtrier recherchant sans cesse l'amour fou au point d'être fou, une jeune fille de 20 ans trop amoureuse d'un homme plus âgé, cherchant à faire une bonne dépression suite à leur rupture et un couple d'artistes New-Yorkais s'essayant à une parenthèse professionnelle en province, Joyce Maynard brosse une peinture des moeurs dans une société américaine des années 70 plutôt défraîchie.
C'est sombre et tragique.  Pour ces  petites filles devenues femmes et mères trop vite, il n'y a qu'une possibilité : le mariage. Rencontrer un homme, se marier et ainsi se sortir d'un avenir étriqué devient pour elles l'image de la réussite.
Mais sans études solides, sans diplôme, sans expérience la possibilité  de partir est impossible.
L'auteur ne donne pas une image très belle des hommes dans ce roman. Absent, violent, souvent sans tendresse, il est souvent irresponsable et a du mal à décider.
La construction littéraire peut être difficile avec  beaucoup de personnages. Les histoires s'enchaînent,  se bousculent et s'installent. La fin violente et brutale laisse ouverte la porte à tous les possibles.
Un bon livre où la plume de Joyce Maynard excelle.

mercredi 10 juillet 2013

Thierry Jonquet : 400 coups de ciseaux

    

      20 nouvelles composent ce recueil, dont la nouvelle éponyme inédite à ce jour. Elles ont été publiées dans des différentes  revues à l'occasion de faits divers, d’événements et suivent un ordre chronologique référencé.
     Hommage rendu à ce grand auteur disparu en 2009,  Thierry Jonquet  a donné un ton et un style au roman noir. 
     Il a travaillé en milieu hospitalier, s'est engagé politiquement, a toujours été touché par le social et l'humain.
     Ses textes le montrent et expriment un très grand pessimisme, une profonde désespérance.  Il nous sert les thèmes qui lui tiennent à cœur et qui occupent la plupart de ses récits.
     SDF(l'art conceptuel) ,  les trafics d'organes( la chaîne du froid),  le meurtre, les manipulations génétiques, les vampires (le vrai du faux), la mort nous plongent dans des histoires jamais loin de la folie et de la barbarie. La nouvelle "Hambourg, premier amour" est remarquable de sensibilité, mais pour Jonquet ou d'autres, les histoires d'amour finissent mal.
     Écrites dans un style direct,remplies d'humour et de cruelle réalité, les nouvelles frappent par leur authenticité.
     Le vécu alimente ses récits et ce dernier recueil retrace très bien l'univers littéraire de l'auteur.
     Mais ce sont surtout ses mots qui expliquent son parcours et ses difficultés d'édition au début dans "voilà comment ça s'est passé" et nous montrent ainsi l'homme qu'il était.
     A savourer


mercredi 3 juillet 2013

John Irving : A moi seul bien des personnages

A près de 70 ans, John Irving signe un long roman sur l'identité sexuelle,  la tolérance face à toutes les différences et rend un très bel hommage à la littérature (Flaubert, Dickens, Ibsen) et au théâtre. Mais c'est aussi un plaidoyer très dur sur une Amérique très puritaine et hypocrite.
Son héros et personnage principal, Bill est le narrateur. Devenu un écrivain célèbre, il raconte son enfance dans une petite ville du Vermont, entre ses grands parents, sa mère, sa tante et son oncle. Une famille des années 70, peu incline à l'ouverture , qui se trouve confrontée à un problème devant l'ambiguïté sexuelle de Bill. 
Bill grandit perturbé par ses "béguins" qu'il éprouve pour des hommes, comme son  beau-père Richard, mais aussi pour des femmes. Étudiant à New-York, il assumera sa bisexualité et son attirance particulière pour les transsexuelles.
Irving nous entraîne dans une quête douloureuse de plus de quarante ans, pour expliquer et dire avec humour, drôlerie et intelligence le comportement sexuel. Il parvient à écrire le sexe d'une façon très crue en dressant le portrait de plein de personnages très troubles et ambigus.
La première partie du livre est remplie de scènes cocasses, Irving décrit à merveille cette ambiance familiale pleine de non-dits où le théâtre occupe une place importante. Les héros de Shakespeare joués par une troupe de collégiens ou par le grand-père, grandiose sur scène en femme entrent en résonance avec l'histoire d'une manière subtile. Irving en fait un lien très fort.
La seconde moitié du livre raconte les années 80, celles que l'on a appelées tristement les années Sida.
L'auteur décrit la maladie, la souffrance, la fin de vie, la mort de toute une partie des personnages de son roman, la découverte de l'homosexualité que l'on ne soupçonnait pas.
C'est un roman très percutant et très dur à lire qui nous emporte dans le tourbillon d'une vie chaotique.
Mais avant tout, il ressort de ce roman, comme dans  l'oeuvre de John Irving, en dehors de l'identité et des genres, la quête d'amour. Celui que l'on donne et qu'on ne reçoit pas, celui que l'on attend toujours. Comme Bill, petit enfant, avide d'amour et d'attention maternels.
C'est toujours l'enfance bousculée et souvent maltraitée par les actes d'adultes égoïstes que nous raconte l'auteur avec une prose saisissante.

lundi 24 juin 2013

Bernhard Schlink : Amours en fuite

                                                

  Bernarhd Schlink nous invite à une profonde réflexion sur le thème de l'Amour, dans 7 nouvelles construites habilement, au récit dense et fouillé que le lecteur peut parcourir comme de véritables petits romans.
   S'il est question de l'Amour, les protagonistes de ces histoires, les hommes, ne le font pas rimer avec toujours.
   C'est dans les fêlures et les doutes mais aussi les tabous, que Schlink bâtit des fins amoureuses très troublées mettant en lumière des personnages qui doutent et s'abîment dans la relation amoureuse.
   Entre renaissance, regret et désir, Schlink  aborde le processus amoureux en exprimant des réflexions douloureuses sur la Shoah et la responsabilité de guerre (la circoncision - la petite fille et le lézard).  Comment peut-on aimer quand religion et origine diffèrent ? Mais aussi quand l'absence de communication éloigne ? 
    L'infidélité est posée d'une manière subtile par une question implacable : " Peux-tu aimer quelqu'un que tu n'estimes pas ?" (l'Infidélité)
   Comment continuer quand la vie ressemble à une suite d'actes manqués ? Sensible et nostalgique, La Femme de la station service nous parle d'un homme essayant de tout faire pour sortir de ce faux-semblant qu'est devenue son existence.
   Chaque texte parle d'un homme face à ses mensonges avec lesquels il s'arrange et la vérité qu'il souhaite pour se déculpabiliser.  La routine le broie, les regrets le hantent et une envie de tout recommencer le harcèle. Un homme souvent fragile, qui lutte contre ses contradictions et des femmes  plus ancrées dans la réalité, plus fortes peut-être.
   A travers l'Amour Schlink explique avec beaucoup de détails l'Allemagne  d'aujourd'hui et son passé.
   J'ai beaucoup aimé, la nouvelle "l'Autre" où chaque protagoniste ne décline pas l'amour de la même façon et où la nostalgie est la plus forte devant ce temps qui passe et ne revient pas.

   
   

dimanche 23 juin 2013

Donald Ray Pollock : Le Diable, tout le temps

    Pour son premier roman, Donald Ray Pollock évoque une Amérique trop profonde où à force de prier Dieu, on convoque le Diable, tout le temps.
   De Knockemstiff, Ohio, ville paumée à éviter absolument, à la Virginie Occidentale, il entraîne le lecteur dans un périple d'une violence absolue avec des personnages tous  plus pathétiques et monstrueux les uns que les autres.
   L'histoire se passe entre 1945, juste après la guerre, pour finir dans les années 1960.
    Et le lecteur est happé par les destins entremêlés de ces héros qui se croisent et se fuient, jusqu'à s'entretuer , le tout dans une barbarie absolue.
   Le fil rouge (sang) de ce roman, vous l'avez compris, c'est le mal, porté par les plus vils instincts de ces hommes et femmes hallucinés et estropiés de l'âme jusqu'à a folie.
   Willard juste rentré de l'enfer du Pacifique, est fou d'amour pour sa femme Charlotte. Atteinte d'une maladie incurable, il devient fou de prières, de croix, de rites sacrificiels à en faire couler beaucoup de sang d'animaux pour la sauver mais il cherchera d'autre provenance.
    Il crée pour cela un lieu, un autel de prières dans une clairière, qui tient plus de l'Apocalypse que de la promenade bucolique. Lieu que l'on retrouve dans le livre mais qui est présent surtout au début et à la fin. 
Son fils, Arvin, témoin silencieux de toutes ces souffrances, l'accompagnera dans ses actes les plus insensés. Il devient fou de justice.
   Ensuite de façon très efficace, Pollock, fait intervenir des personnages tout au long du récit aux vies cahotiques et abjectes où seule la violence la plus folle tient lieu de langage et d'échanges.
   Prédicateurs fous, shérif violent et corrompu, couple sadique....
   C'est hallucinant et l'écriture de Pollock, ample et sèche nous happe jusqu'au bout. Dans une prose radicale, il construit un récit très maîtrisé qui interroge le lecteur sur ses propres noirceurs.
   Pollock est un maître dans l'art d'écrire non pas uniquement une oeuvre noire mais un récit fulgurant sur des héros effroyablement humains à force de les côtoyer de l'intérieur.
    C'est l'Amérique loin des clichés où rédemption devient damnation.


vendredi 31 mai 2013

Didier Decoin : La pendue de Londres

Dans son dernier roman Didier Decoin nous raconte le destin tragique de Ruth Ellis accusée de meurtre   et pendue  à Londres en 1955. 
Evoluant  dans un  monde clinquant de luxe, de paillettes et d'apparence, son  parcours reste celui d'une pauvre vamp, mi femme fatale, mi mondaine à la chevelure peroxydée qui a inspiré aux hommes leurs pires fantasmes. 
Tenancière de cabaret la nuit, occasionnellement prostituée, elle fait de nombreuses mauvaises rencontres et connaît la brutalité d'hommes pervers et salaces. Elle s'enfonce dans l'alcool et l'humiliation et tue son dernier amant avant d'être arrêtée, jugée  sommairement et exécutée. 
Son histoire agite alors l'opinion publique et devient un sujet de réflexion sur l'utilité de la peine de mort. Elle est la dernière femme à être pendue en Angleterre.
Avec beaucoup de maîtrise, Didier Decoin offre en parallèle le portrait d'un homme qui a aussi existé. Albert Pierrepoint qui assiste Ruth dans ses derniers instants, il est l'exécuteur du Royaume Uni. Il  vit une vie ordinaire  dans un univers sombre et froid, gérant un pub dans un quartier populaire. 
Méticuleux dans son travail, il est soucieux de ne pas faire souffrir les condamnés à mort et apporte un soin extrême à leur ôter la vie.
La force du récit se trouve dans l'alternance des deux vies. Deux parcours complètement opposés et pourtant peu brillants, celui de Ruth fait d'abus dès l'enfance et de violence et celui du bourreau si ordinaire et aussi impitoyable.
Le lecteur pénètre dans la vie de Ruth et hésite entre culpabilité et une certaine légitime défense, et rejoint l'âme du bourreau quand il prépare son exécution. C'est fascinant et obsédant.
Le lecteur se sent alors coupable de trop regarder.
Une écriture maîtrisée, un style évocateur, une construction littéraire remarquable,  un livre qu'on ne lâche pas.


        

samedi 25 mai 2013

Martin Suter : Le temps, le temps

Un an après l'assassinat sauvage de son épouse à l'entrée de son immeuble, Peter Taler reste effondré et incapable d'affronter un quotidien qu'il a du mal à reconnaître. Choqué, ses questions le hantent et restent sans réponse. Le tueur n'a pas été arrêté, et son obsession est de retrouver le coupable, la vengeance le saisit de plus en plus fort.
Dans la zone résidentielle, il fait la connaissance d'un vieux voisin qui semble l'épier, veuf également mais depuis 20 ans. Sa femme est morte d'une "chose évitable".
Leur solitude les réunit malgré eux et Peter Taler va croire au projet fou et insensé de son vieux voisin, botoxé et curieux, celui d'abolir le temps et retrouver ainsi les disparues. Remettre le décor en place.
Martin Suter, nous invite à une profonde réflexion sur le temps et l'absence, sur ces choses insoupçonnables et insignifiantes qui remplissent une vie et lui donnent un sens.
L'écriture est habile et maîtrisée et le sujet mystérieux. Le temps résonne à l'infini et dans cet espace qui n'est pas ressenti de la même manière par chacun, le lecteur s'aventure dans une réalité changée.
Le récit devient expérience entre rêve et cauchemar, entre futur et passé et les repères nous bousculent  dans un vertige incessant.
Les personnages, principaux et secondaires, sont attachants, troublants, inquiétants parfois.
Peter Taler, jeune homme, amoureux de sa femme, malheureux de sa disparition, jaloux aussi, souffre et le lecteur y est sensible.
Martin Suter signe un roman d'une étrangeté bien contrôlée, le style reste haletant jusqu'à la fin  incroyable et époustouflante.

vendredi 10 mai 2013

Jean Teullé : Fleur de tonnerre

Jean Teullé nous raconte le parcours d'Hélène, bretonne ayant vécu au 19ème siècle, sans doute la première "serial killeuse" et nous promène dans une Bretagne rude, remplie de légendes et de superstitions. C'est dans une famille croyant à l'Ankou et à bien d'autres histoires que la petite fille a grandi. Blonde et douce, elle deviendra l'Ankou pour devenir importante. Ce personnage représente la mort avec sa faux et qui appelle trois fois avant de faucher la vie.
Pendant des années, Hélène, allias Fleur de Tonnerre va écumer la région en empoisonnant les familles chez qui elle se propose comme...cuisinière.
Commençant par sa propre famille, elle ajoutera à ses fameux plats (gâteaux, soupe) l'arsenic dont personne ne peut échapper.
A l'époque, la médecine n'était pas vraiment au point et Fleur de Tonnerre a exécuté sans pitié plus de 60 personnes.
Mais voilà, malgré l'histoire diabolique et surprenante, malgré l'écriture de Teullé, rabelaisienne à souhait qui donne un certain humour à cette promenade funèbre, ce livre manque de véritable profondeur.
Les explications manquent sur le cheminement de la folie, de l'ignorance et de la solitude qui jalonnent la vie de Fleur de Tonnerre.
Teullé use et abuse un peu trop de langage breton, d'expressions grossières et de toute une série de légendes mises bout à bout.
Il n'en reste pas moins de beaux passages drôles ou très poétiques, curieux comme l'épisode du naufrage ou cocasses comme les  aventures de ces pauvres coiffeurs emportés dans une quête capillaire désastreuse et hallucinante.
Les dernières pages s'ouvrent sur ce fameux procès qui déchaîna les foules, et nous montre Hélène plus accessible dans son humanité. Le lecteur est pris par la fièvre de la vengeance aux Assises en Décembre 1851.
Mais ce ne sont que quelques pages.

mercredi 8 mai 2013

Tatiana de Rosnay : A l'encre russe

En partant sur les traces d'un secret de famille, le héros, Nicolas devient écrivain et signe  un best seller au succès planétaire immédiat. Adapté au cinéma, son oeuvre largement autobiographique, le propulse dans la sphère très prisée des auteurs à succès. L'actrice principale a même obtenu un Oscar.
Conforté par cette superbe réussite littéraire, Nicolas se voit ouvrir les portes de la célébrité et d'un monde très "people" où les apparences suffisent.
Son éditrice lui a aussitôt proposé un fabuleux contrat pour le roman à venir.
Sa vie roule sur l'or et dans  les paillettes et son monde s'ouvre dans le luxe et les étoiles qui tournent autour.
Mais voilà, l'inspiration manque et l'angoisse de la page blanche l'habite depuis plusieurs années maintenant.
Il vit sur une notoriété qui s'essouffle ,il illusionne ses fans, fait croire qu'il est en train d'écrire, a-t-il encore du talent, d'ailleurs ?
Pendant un week-end sur une île italienne, paradisiaque, dans le luxe feutré d'un hôtel cinq étoiles, il va essayer de renouer avec l'écriture mais rien ne se passera comme il le souhaite.
L'histoire peut paraître simple mais le portrait que fait Tatiana de Rosnay du monde de l'édition et des écrivains à succès est impitoyable. 
Le lecteur saura sûrement reconnaître qui se cache derrière certains personnages.
Le secret de famille n'est pas le plus important dans l'histoire, c'est surtout la personnalité de Nicolas qui est détaillée dans sa superficialité, sa suffisance, son ambition, son vide aussi.
Les personnages qui gravitent autour de lui sont tout aussi féroces et égoïstes.
Un livre agréable à lire mais sans plus.

samedi 4 mai 2013

Jean-Philippe Blondel : 06h41

Gare de Troyes, lundi 6 h 41. Elle monte à bord du TGV qui la ramène à Paris après un week-end déprimant  chez ses parents. Elle va retrouver son mari et sa fille. Plus d'une heure pour souffler et se préparer à affronter sa semaine de chef d'entreprise.
Il prend le même train, pour une visite à son seul ami d'enfance qui se meurt d'un cancer. Il est divorcé et a deux enfants, vendeur dans un supermarché.
Elle, c'est Cécile, lui c'est Philippe. La petite cinquantaine tous les deux, il y a trente ans ils se sont connus, aimés puis quittés en très très mauvais termes.
Le pire des hasards les amène à être voisins pour un extraordinaire voyage dans le temps et les souvenirs.
Chacun fait semblant de ne pas reconnaître l'autre. D'ailleurs tous les deux ne sont plus les mêmes, ils sont devenus l'exact opposé de leur jeunesse.
Jusqu'où iront-ils dans l'ignorance de l'autre, dans les faux semblants ?
Dans ce huis clos étonnant, ils vont aller au bout de la mélancolie en faisant revivre leur parcours, leurs ambitions. La confrontation du passé enfoui  à la réalité du présent possède des saveurs douces amères.
L'auteur manie le monologue finement en alternant les voix de Philippe et Cécile. Il parcourt l'intime en disséquant les obsessions et les failles de ses personnages, sondant leurs profonds retranchements.
Blondel possède une plume délicate pour dire la vie humaine, les rencontres, les ratés, les colères, la folle jeunesse qui passe et ce que l'on devient. 
Un livre bref mais intense, troublant par la fin qui s'ouvre sur l'incertitude, laissant ainsi le lecteur décider.
C'est beau.





mardi 30 avril 2013

Anna Funder : Tout ce que je suis

A travers deux voix, celles de Ruth et d'Ernst, l'auteur évoque le destin tragique de jeunes berlinois emportés par la  montée du nazisme et  la folie meurtrière d'Hitler.
La voix de Ruth, dans le présent remonte le passé et revisite les évènements tragiques vécus avec ses compagnons. Celle d'Ernst surgit du passé nous parle d'un autre passé plus lointain.
Ces souvenirs d'avant guerre se croisent et nourrissent un récit vif donnant une dimension exceptionnelle aux personnages, surtout à celui de Dora. Femme fascinante, socle de la résistance à Hitler elle reste à jamais  une femme libre allant au bout de ses convictions et de sa foi dans un monde nouveau.
Contraints à l'exil, en Angleterre, en France et aux Etats Unis, ces jeunes allemands n'auront de cesse d'alerter l'opinion publique, au risque de leur vie,  de la politique menée par Hitler  et de ses monstrueuses ambitions guerrières. Menacés de mort, déchus de leur nationalité, sans papier ils ont mené un combat d'humanité.
Ruth est une vieille dame maintenant, elle se souvient et raconte le passé. Ses souvenirs font revivre, Dora, sa lumineuse et brillante cousine. Ernst, l'illustre écrivain et poète avant tout socialiste, Hans son mari, journaliste , tous  chassés du pays pour s'être opposés à Hitler sont évoqués avec beaucoup de nostalgie et de souffrance.
Les deux voix alternent le temps, passé et présent se conjuguent pour faire revivre des personnages courageux broyés dans une humanité qui sombre.
Le personnage de Dora est magnifique et l'auteur par son style limpide et intelligent lui rend un hommage éblouissant. Femme amoureuse, femme engagée, elle devient dans ce livre le symbole de la femme qui assume ses choix même au prix de sa vie.
C'est un très beau roman tiré de faits réels et qui est un véritable témoignage sur l'engagement, la trahison des hommes et des pays devant l'inimaginable à venir.   




mardi 23 avril 2013

Donald Ray Pollock : Knockemstiff

Donald Ray Pollock, nous entraîne au fin fond d'une Amérique oubliée et paumée où se percutent violence extrême et ruralité profonde. L'univers de la littérature "White Trash"  donne voix aux laissés pour compte d'une Amérique beaucoup trop étoilée pour eux.
L'écrivain sait de quoi il parle. Il est né à Knockemstiff, Ohio, ville représentative de la décrépitude et de la solitude, loin de l'image des villes qui portent en elles le rêve américain. Il a aussi travaillé dans l'usine de pâte à papier pendant plus de trente ans, comme celle du livre,  qui crache sa fumée toxique et baigne les habitants de la ville dans un ordinaire infâme.
Les 18 récits possèdent comme fil conducteur, le lieu :  Knockemstiff , imprononçable et tout aussi improbable ;  et une galerie de personnages qui se croisent et sortent de leur maison pour fuir mais qui, inexorablement ne partent jamais.
Alcooliques se torchant de mauvais vins, drogués des pires produits toxiques, hommes et femmes sont hallucinés de misère, pauvreté, haine , racisme et inculture.
Privés de tout, ils représentent la lie de l'humanité qui s'est perdue depuis longtemps.
Pollock nous dresse le portrait sans concession de la misère blanche américaine.
Une écriture où la nostalgie n'a pas sa place et où les histoires familiales prennent des airs de déclin d'empire américain.
Un récit m'a fait pensé au film "Délivrance", celui où des touristes californiens prennent des photos des autochtones en étant surpris de rencontrer des gens si pauvres et arriérés dans leur beau pays !!
A lire....
 

lundi 15 avril 2013

Mark Behr : Les rois du paradis

Mark Behr est devenu avec" L'odeur des pommes", son premier roman, un des écrivains les plus représentatifs de la littérature sud-africaine. Ses pages sont hantées par les épisodes tragiques qui ont marqué son pays : les guerres, la violence, l'apartheid. Devenue nation Arc en ciel, elle reste meurtrie par son histoire douloureuse.
Nous sommes dans le veld, le fin fond de la campagne d'Afrique du Sud, dans les collines de l'Etat d'Orange, la terre des Boers.
Le Paradis est la ferme familiale des Steyn. La mère, Beth vient de mourir d'une crise cardiaque.
Michiel, "le petit dernier par qui était arrivée l'infamie" a quitté le pays et refait sa vie aux Etats-Unis où il vit avec son ami. Pendant son service militaire, il avait été surpris avec un officier de couleur et chassé de l'armée.
L'enterrement de sa mère sera l'occasion pour lui d'affronter les souvenirs et drames familiaux,  et le courroux persistant de son père, pur et dur afrikaner convaincu même aujourd'hui d'une l'idéologie d Afrique du Sud blanche.
Mark Behr raconte à travers le portrait lumineux de Beth et la  mémoire des protagonistes, l'histoire sombre et bouleversante de l'Afrique du Sud en pleine mutation.
Les femmes sont étonnantes et incarnent cette nouvelle nation. Les hommes n'en sortent pas grandis, cachant des manques et des failles profondes, comme Piet, le frère tragiquement disparu.
Michiel repartira pour l'Amérique, aussi blessé que grandi, en apprenant par son ami les attentats du 11 septembre 2001. Ailleurs aussi, un monde s'écroule. 
Un livre choc, sans concession écrit avec beaucoup de subtilité et un style accrocheur.

lundi 8 avril 2013

Jeffrey Eugenides : Le roman du mariage

Dans son troisième et dernier roman, Jeffrey Eugenides, à travers l'expérience de trois étudiants, dresse le portrait d'une Amérique enjouée et pleine de promesses, celle des années 1980.
Ils se sont rencontrés sur le campus d'une prestigieuse université américaine de la Côte Est et jouent ici une partition bien malheureuse du trio amoureux.
Madeleine, issue d'un milieu bourgeois, est étudiante en littérature anglaise du 19ème siècle. Elle participe au cours de sémiotique et découvre Barthes et son "discours amoureux" et tombe amoureuse de Léonard, garçon au charme fou et déjanté, brillant en biologie.
Mitchell, amoureux transis de Madeleine, passe son temps à lui tourner autour mais n'arrive pas à finaliser sa passion pour elle.
Léonard, dont le style séducteur et désinvolte cache une profonde maladie psychiatrique, ne pourra pas rendre Madeleine heureuse malgré leur mariage.
Mitchell partira une année pour un voyage initiatique qui le mènera jusqu'à Calcutta auprès de Mère Térésa.
Madeleine choisira sa vie malgré le départ de Léonard et la présence amicale de Mitchell à ses côtés.
Dans une écriture rythmée et une construction déstructurée, Eugenides nous sert une oeuvre surprenante, au ton souvent impitoyable. Mélangeant les genres, il analyse d'une façon méticuleuse la maladie psychiatrique de Léonard. 
Il donne un remarquable essai sur la notion de mariage dans le roman. Idée très originale qui lui permet de rendre compte de l'évolution des sentiments amoureux dans la littérature et la société.
Vie et moeurs dans les campus américains sont bien détaillés.
Eugenides analyse finement le cheminement d'une vie amoureuse et ses aléas avec beaucoup de gravité et d'ironie.
Quelques longueurs sont regrettables, comme la quête religieuse de Mitchell et son acharnement à poursuivre Madeleine.

mercredi 3 avril 2013

Alice Ferney : Cherchez la femme

Alice Ferney décortique, comme elle sait si bien le faire de manière subtile et étudiée,  les caractères humains,  à travers le mariage et le sentiment amoureux de deux couples sur deux générations.
 Le lecteur pénètre dans  la complexité d'une vie et les conséquences d'une éducation qui fait ou défait la personnalité des enfants.
Les parents, eux-mêmes,  lancés dans une existence parfois défaillante transmettent malgré eux doutes et faux semblant aux enfants.
Alice Ferney tout au long du livre nous raconte les moindres détails de la vie de couple que forment Serge et Marianne. De la rencontre au mariage, à la vie commune aux enfants,  à l'usure du couple et son délitement, le lecteur assiste à tout.
Mais c'est par la formation du couple des parents de Serge, Nina et Vladimir, que commence le récit. Nina, trop tôt mariée, si jeune aimée et  qui a tant vécu mais jamais par elle-même, transmettra à son fils, Serge le besoin de briller et de réussir à tout prix.
Cette vie par procuration sera pour Serge le poison de sa vie réussie en apparence. Au fond de lui, restera la béance d'une incompréhension totale à son entourage.
Le caractère de Marianne a été façonnée par sa mère, femme antipathique et peu aimante. Elle se raccrochera jusqu'au bout à l'amour perdu de Serge s'empêchant de vivre.
C'est une plongée dans la psychologie des sentiments amoureux, décortiqués avec beaucoup de sensibilité.
C'est un livre douloureux sur la transmission, l'amour mal donné et mal reçu, les occasions manquées, tout ce qui fait qu'une vie est unique et rare.
J'ai trouvé cependant que la douleur inguérissable de Marianne face à son divorce traînait beaucoup trop en longueur et que les drames successifs n'en finissaient pas, rendant le livre interminable.