je veux encore rouler des hanches,

je veux me saouler de printemps

je veux m'en payer des nuits blanches

à cœur qui bat, à cœur battant

avant que sonne l'heure blême

et jusqu'à mon souffle dernier

je veux encore dire "je t'aime"

et vouloir mourir d'aimer

Barbara

lundi 9 décembre 2019

Emily Ruskovich : Idaho

     Pour les amoureux de l'Amérique et de sa littérature, les Editions Gallmeister permettent de faire une balade à travers le pays en assurant un dépaysement complet. Alors ne nous en privons pas, quand on aime.
     Emily Ruskovich est une romancière américaine et elle signe ici un premier roman lourd et intense
     C'est l'histoire d'Ann et Wade, mariés depuis 8 ans, ils vivent dans un coin perdu à Pondesora dans l'Idaho, une maison au pied de la montagne. La vue des Rocheuses, la neige et les canyons, offre une confrontation avec une nature sauvage et souvent hostile.
     Ann est la seconde épouse de Wade. Ils se sont mariés après le drame qui a anéanti la famille de Wade pendant une chaude journée d'été en 1995.
      Wade et Jenny, sa première femme sont en train de couper du bois dans la forêt. Les filles May, 6 ans et June 9 ans s'amusent et se disputent. La mère fait une pause dans le pick up, les filles la rejoignent et l'impensable se produit. May est tuée et June disparaît à jamais. 
      Un infanticide inimaginable que l'auteur l'auteur ne détaillera pas. Ce qui fait la force de ce récit qui en devient fascinant.
     Atteint de démence sénile congénitale Wade perd la mémoire. Alors Ann qui ne connaît pas trop son passé, aimerait qu'il lui raconte le déroulement de cette terrible journée et comprendre cette famille. Elle sera la voix de ce roman où les personnages revisitent leur passé sans pour autant donner une explication à la tragédie.
     Dans un récit qui ne laisse pas de place à la chronologie, l'auteur éclate son récit avec des allers-retours de 1973 à 2025. 
     Les âmes des personnages restent opaques, l'élucidation du drame n'est pas le plus important. Il reste la souffrance, l'humain dans son deuil et sa mémoire.
     Le style est fin et percutant, et l'intime devient la réponse à cette histoire de la douleur, celle de perdre ses proches et celle d'oublier ce qui a été.
     A lire pour découvrir une nouvelle écriture.
Emily Ruskovich - Idaho - Editions Gallmeister - Traduit de l'américain par Simon Baril - Parution - 360 Pages - 23.50 €

lundi 25 novembre 2019

Jean-Paul Dubois : Tous les hommes n'habitent pas le monde de la même façon

     En Novembre, Jean-Paul Dubois a reçu le prestigieux Prix Goncourt pour son dernier livre "Tous les hommes n'habitent pas le monde de la même façon".
     Un auteur sympathique dont l'écriture du quotidien et de ses difficultés nous parle avec des personnages confrontés à une vie qui n'est pas toujours tranquille. C'est fouillé, intelligent et terriblement humain. Belle récompense bien méritée !
     Nous retrouvons son dernier héros au prénom identique depuis des décennies, Paul.
     Du fond de sa cellule de la prison de Montréal au Canada, Paul nous raconte sa vie d'homme et ce qui l'amène ici.
     Les deux années de condamnation vont lui permettre de remonter le cours de son existence, lui enfant d'un pasteur danois et d'une mère toulousaine, exploitante de cinéma d'avant-garde.
     Il vit depuis 20 ans au Canada quand le drame se produit. Il est concierge dans une résidence à Montréal. Homme à tout faire, il jardine, s'occupe de la piscine, nettoie et de temps en temps s'occupe des habitants de l'immeuble et de leur âme en peine. 
     A travers des personnages cocasses, comme le compagnon de cellule Horton, Hells Angel accusé de meurtre dont le monde tourne autour des Harley ou Winona , pilote d'avion de plaisance qui nous fait découvrir des paysages de toute beauté, ainsi que les dialogues avec les personnes aimées disparues, Jean-Paul Dubois nous fait découvrir assez tard l'explication de l'incarcération de Paul.
     Paul est un puriste, le monde ne lui convient pas dans sa violence et son inhumanité,  il n'est pas fait pour lui. Le ton devient nostalgique et le livre prend des allures de conte philosophique avec une réflexion profonde sur l'univers humain.
     Malgré les tragédies, l'humour reste  présent tout au long de ce texte ciselé et intense en émotion.
Jean-Paul Dubois - Tous les hommes n'habitent pas le monde de la même façon - Editions L'Olivier -256 Pages - 19 €

samedi 23 novembre 2019

Pete Fromm : La vie en chantier

     Taz et Marnie vivent dans le Montana, à Missoula où ils retapent ensemble une maison. Taz est menuisier et vit au rythme de ses chantiers.       Ils n'ont pas trop d'argent mais leur vie est pleine de rire et d'amour dans une nature grandiose embellie par l'arrivée d'un heureux événement. 
     Mais voilà c'est pas eux qui décident et Marnie meurt d'une embolie pulmonaire juste après avoir donné naissance à leur petite-fille Midge.
     Et là commence pour Taz l'après et une vie qui ne sera plus jamais comme avant. Le vide, la douleur et un bébé minuscule mais vivant.
     C'est l'anéantissement total pour Taz, le deuil et les jours sans Marnie et pourtant il ne peut pas s'abandonner à ce chagrin infini, Midge est là et  a besoin de lui.
    Alors il y a Rudy, l'ami de la famille qui le soutient au delà de tout et puis la mère de Marny, grand-mère perdue et touchante et la jeune baby-sitter qui l'accompagnent sur le chemin d'une autre existence.
     Pete Fromm a un réel talent pour ne pas tomber dans le larmoyant et le pathos. L'écriture est délicate et porteuse de messages de tendresse et d'espoir.
     L'auteur nous délivre un texte sur l'intime où les personnages nous touchent par leur chagrin et nous sommes soulagés quand un peu de soleil vient les réchauffer.
     C'est un beau et grand moment de lecture.
Pete Fromm - La vie en chantier - Editions Gallmeister - Traduit de l'Américain par Juliane Nivelt - Parution Sept. 2019 - 384 Pages - 23.60 €

dimanche 6 octobre 2019

Edna O'Brien : Girl



     "J'étais une fille autrefois, c'est fini. Je pue. Couverte de croûtes de sang, mon pagne en lambeaux. Mes entrailles, un bourbier."
      C'est phrase qui sert d'ouverture au récit bouleversant d'Edna O'Brien place le lecteur dans la tête d'une jeune lycéenne, rare rescapée de la secte islamiste Boko Haram au Nigéria où elle avait été enlevée.
     Les habitants de son village vivent  dans la peur des actes tuerie et d'enlèvements de ces fanatiques religieux et hallucinés.
      Avec d'autres lycéennes, elle va vivre l'enfer quand elle se retrouve dans le camp de la secte où toute humanité n'existe plus pour les femmes.
      Edana O'Brien s'empare ici avec douleur d'un fait divers malheureusement connu et infâme. Des hommes parlent et agissent au nom de la religion pour réaliser les pires crimes de barbarie.
      Nous mettons les pas dans ceux de Maryam et des autres qui comme elle subissent. L'auteur n'épargne pas, viols collectifs, tabassages, punitions pour rien ou rien. Femmes, elles sont impures et  au nom d'Hallah  les hommes du groupe abusent d'elles.
     Maryam devient l'épouse trophée d'un de ses bourreaux, combattant dans la secte, il n'est pas religieux comme les autres. La misère dans le pays l'a contraint à adhérer au groupe.
     De cette union forcée naît Babby, un poids immense pour Maryam mais aussi son échappatoire.
    Après sa fuite, alors qu'elle retrouve son pays et sa famille, Maryam devient une "femme du bush", une de Boko Haram. Avec son enfant elle représente une menace pour le village.
     Dans un pays qui traite les femmes comme rien, où elles subissent enlèvements et viols, où la famille leur laisse peu de place où les hommes restent tout puissants, Maryam et son enfant représentent la malédiction et la culpabilité.
     Femme voilée, violée, fantôme, impure, cloîtrée, Maryam est toutes ces femmes victimes au nom d'Hallah, au nom de l'homme.
    Le roman va loin dans l'horreur, nous pensons à toutes les dictatures, à tous les abus où le fait d'être femme représente déjà une douleur et un malheur.
    Edna O'Brien  fait un état des lieux d'un pays qui succombe et donne la parole à toutes les Maryam, à toutes celles qui ne seront plus jamais pour avoir vécu l'enfer et qui ne connaîtront jamais la liberté.
     Un livre d'une grande actualité, malheureusement.
Edna O'Brien - Girl - Editions Sabine Wespieser - Traduit de l'anglais (irlandais) par Aude de Saint-Loup - Parution Août 2019 - 256 Pages - 21 €

lundi 23 septembre 2019

Tommy Orange : Ici n'est plus ici

     "Ici n'est plus ici" est le premier roman de Tommy Orange, écrivain né à Oakland et appartenant à la tribu cheyenne.
     C'est un roman douloureux et magnifique qui retrace la tragédie amérindienne à travers la destinée de douze personnages qui vont prendre la parole tout au long d'un texte puissant et intelligent.
     Tout d'abord, il y a un prologue qui claque et met le lecteur en apnée, en présentant les faits marquant  l'histoire du peuple indien et prépare à la lecture.
     C'est un roman choral où les personnages, indiens d'Amérique nés dans les villes, meurtris par la vie sont à la recherche de leur identité. Ils vont se raconter, se croiser et certains se reconnaître au cours d'un grand Pow-Wow mettant à  l'honneur  leur culture.
    Tommy Orange fait un constat émouvant de l'identité indienne, et la question qui est posée dans ce livre déchirant est : comment peut-on être indien aujourd'hui, quelle en est la signification ?
    Douze personnages qui résonnent du mal être de leur condition, indiens urbains arpentant le bitume plutôt que les pistes, habitués aux gratte-ciel plus qu'aux montagnes sacrées.
     Hommes, femmes et enfants, douze personnages nés américains et dont les origines les empêchent d'en être authentiques. 
    Avec eux, le lecteur est entraîné vers le grand Pow-Wow d'Oakland, un rassemblement qui leur permet de se regrouper et de fêter leur culture. 
     Nous sommes loin des clichés et du folklore dans lesquels la société a enfermé les natifs de l'Amérique. Aucune terre, aucun endroit n'évoquent plus pour eux leur culture et leur passé.
     Les histoires des personnages sont bouillonnantes et le lecteur les accompagne au rythme de la musique, du bruit et des danses.
     Un événement tragique que l'on sent venir tout au long du récit clôt ce livre sur la différence et la transmission. Il devient une lecture universelle, celle des laissés pour compte dans les grandes villes, ravagés pas la violence, l'alcool, la misère et la solitude.
      C'est une très belle découverte d'auteur et d'univers, un récit plein de rage et de poésie. A lire.
Tommy Orange - Ici n'est plus ici - Editions Albin Michel - Traduit de l'Américain par Stéphane Roque - Paru Août 2019 - 352 Pages - 21.90 €

lundi 12 août 2019

Yasmina Khadra : L'outrage fait à Sarah Ikker

     Yasmina Khadra, dans son dernier roman "L'outrage fait à Sarah Ikker", reprend la veine du roman policer et place son intrigue au Maroc.
     C'est l'histoire de Dris Iker, enfant du rif issu d'un milieu modeste. Il choisit de faire des études afin de s'en sortir et gravir les échelons de la société.
     Lors d'une soirée, alors qu'il est un jeune policier débutant, il croise une superbe jeune fille, Sarah. Elle est la fille du grand patron de la police. Malgré leur différence de milieu, elle tombe folle amoureuse  de lui et leur rencontre se termine par un mariage.
      Alors qu'ils semblent filer le parfait amour, évoluant dans une société privilégiée, un drame se produit un soir chez eux.
       Sarah est violée à leur domicile et plus rien ne va entre eux. Dris sombre dans l'alcool et Sarah dans une grave dépression.
       L'enquête officielle apporte peu d'indices, Dris prend les choses en main et le couple vit une crise existentielle profonde.
       Une galerie de personnages interviennent tous plus corrompus que jamais et peu fréquentables.
     Yasmina Khadra nous entraîne au cœur du pouvoir et de la corruption. Il montre aussi la place de la femme et l'intervention de la religion dans une société où les non-dits sont nombreux.
     Un roman un peu déroutant où l'enquête n'est pas l'enjeu mais un moyen de dresser le portrait corrosif de la société marocaine.
      Une suite est prévue, peut-être apportera-t-elle une certaine profondeur aux personnages juste esquissés.
Yasmina Khadra - L'outrage fait à Sarah - Editions Julliard - Parution Mai 2019 - 288 Pages - 19€

jeudi 25 juillet 2019

Patrick De Witt : Les frères Sisters

     Nous sommes en 1851 dans l'Oregon où officient Eli et Charlie Sisters, deux redoutables frères tueurs professionnels travaillant pour un truand surnommé "le Commodore".
     Leur mission est d'éliminer un chercheur d'or, un scientifique, Hermann Warm qui se trouve en Californie.
     Le roman se situe en plein cœur de la  mythique conquête de l'Ouest, la ruée vers l'or. L'auteur, Pactrick De Witt, écrit ici un western très original et décalé, haut en couleurs avec les tribulations de ces deux frères hors du commun.
     Charlie est l'aîné, un vrai dur, un cow boy sans états d'âme, violent et buveur. Il chevauche vers sa mission et ne se pose pas de questions. Ses propos sont sans équivoque, durs et impitoyables dans une Amérique nouvelle qui étend son territoire.
     Eli est la voix du roman, un homme perturbé par la violence qu'ils sèment tous les deux sur leur chemin. Il souhaite tourner le dos à tout ça, mener une nouvelle vie, trouver l'amour, une femme.       Charlie le bouscule souvent mais Eli lui voue un inconditionnel amour fraternel.
     Les chapitres très courts nous portent au rythme de la chevauchée à travers l'Ouest américain, au gré des rencontres toutes plus truculentes ou loufoques les unes que les autres.
     Les dialogues sont ciselés et efficaces bourrés d'un humour frôlant aussi bien le noir que l'absurde.
     Cette épopée à travers des paysages grandioses et implacables dans une société en construction où la recherche de l'or a modifié toutes les données, contient tous les codes du western : les saloons, les filles, l'alcool, les colts.
     C'est un roman très agréable à lire, une plongée dans le mythe américain et l'envers du décor qui devient une sorte de quête initiatique où les personnages aussi illuminés qu'inquiétants vont faire face à leur destin.
     La fin est totalement surprenante et ce roman a été adapté au cinéma par Jacques Audiard.
Patrick De Witt - Les frères Sisters - Editions Actes Sud - Traduit de l'Américain par Emmanuelle Aronson - Paru le Septembre 2012 - 368 Pages -  22.80 €
    

lundi 22 juillet 2019

Lou Berney : November Road

     Lou Berney écrivain à la plume évocatrice nous entraîne ici dans un road trip à travers les Etat-Unis de la Nouvelle Orléans à Las Vegas.
     Dressant le portrait de trois personnages, saisissants et attachants malmenés par la vie dans une Amérique de l'année 1963 qui pleure son charismatique président, John Kennedy.
     Trois personnages vont se poursuivre et se retrouver sur la mythique route 66  de motel en motel et vont être confrontés à leur secret.
    Franck, truand au grand cœur travaillant pour la mafia , qui veut maintenant l'éliminer et envoie pour cela, Barone, le tueur à gages sans état d'âme, froid et implacable.
     Charlotte, une mère fuyant avec ses deux filles et leur chien son domicile conjugal et son minable mari alcoolique, pour une vie meilleure.
     L'auteur crée une ambiance de polar années 1960 assez délectable et arrive à nous captiver en mélangeant humour et intrigues sombres.
     L'assassinat de Kennedy est relié à cette histoire de gangster et nous plonge dans la société américaine des années 60 gangrenée par la mafia.
     Tout y est le côté noir, mais aussi l'espoir et l'amour avec une touche de mélancolie, et puis le fameux rêve américain représenté par Charlotte, femme émancipée qui lutte pour sa liberté.
     Cette histoire de gangster sur fond d'événement historique devient pour les personnages une quête intime.
     Les descriptions, très cinématographique, des paysages et des villes traversées emmènent le lecteur dans un  périple éperdu à travers le pays.
     Si l'histoire est intéressante, la relier à l'assassinat de Kennedy m'a tout de même laissée perplexe.
    Une lecture agréable, il se peut que le bandeau du livre de Don Winslow, soit un peu trop prometteur tout de même.
Lou Berney - November Road - Editions Harper Collins - Traduit de l'Américain par Maxime Shelledy - Parution le Février 2019 - 381 Pages - 20 €

dimanche 23 juin 2019

Taylor Brown : Les dieux de Howl Mountain

     Taylor Brown est un écrivain américain et originaire de Caroline du Nord tout comme son héros des "Dieux de Howl Mountain", Rory. 
     L'auteur nous raconte une page de l'histoire des Etats-Unis dans les années 50, à  travers les portraits de personnages profonds et rudes vivant dans une nature belle et sauvage, mais aussi comment le progrès et l'évolution de la société les a meurtris.
     Nous sommes dans un village paumé dans les montagnes de Caroline du Nord et Rory Docherty, est rentré au pays après la guerre de Corée où il a perdu une jambe.
     Il revient vivre auprès de sa grand-mère maternelle, Ma, ancienne prostituée au grand cœur reconvertie dans les herbes médicinales.
     La mère de Rory est internée en psychiatrie depuis 30 ans, depuis cette nuit sanglante où son petit ami a été tué. Elle n'a plus jamais reparlé.
    Rory lui rend régulièrement visite et essaie de comprendre et connaître son passé, de combler l'absence et les blancs de sa vie.
    Dans ce coin d'Amérique, on distille et revend du bourbon, plus ou moins bon. Pour vivre ou plutôt pour survivre. La vallée était florissante avant la construction du barrage, depuis les habitants rejoignent les hauteurs et s'isolent.
    Courses poursuite en voiture sur les routes de montagnes où livreurs de bourbon comme Rory et flics plus ou moins corrompus essaient de s'attraper et  soirées arrosées d'alcool, de sexe et de solitude, entraînent le lecteur dans un portrait rude d'une Amérique déjà désenchantée.
     La religion si chère à ce pays est représentée ici par une communauté sectaire qui prie avec des serpents, mais au milieu de ce chaos, l'amour donnera à Rory la possibilité de prendre sa vie en main.
     Ce que j'ai aimé dans ce roman, ce sont les personnages, tous très torturés et mal dans leur peau comme Rory  toujours dans l'enfer de la guerre, Ma cette femme aimante et lucide qui souffre pour sa fille et craint pour son petits fils et tous les autres personnages sombres ou malveillants mais pourtant si tristement humains.
     Un vrai roman d'ambiance qui oscille entre polar et thriller avec une écriture percutante et toujours cette saisissante nature, ces espaces grandioses où le pire peut toujours arriver.
Taylor Brown - Les dieux de Howl Mountain - Editions Albin Michel - Parution Mai 2019  - 384 Pages - 21.90 €

mercredi 19 juin 2019

Philippe Besson : Dîner à Montréal

     Après "Arrête avec tes mensonges" et "Un certain Paul Darrigrand", Philippe Besson poursuit son introspection du sentiment amoureux et retrouve Paul dans "Dîner à Montréal", son dernier opus.
    Philippe Besson aime raconter l'intime une fois de plus et il fait toujours avec délicatesse.
     Ces trois dernières parutions nous ont permis de nous rapprocher de l'auteur et de l'homme. Au plus près de l'émotion, de l'amour et de l'abandon, ses expériences nourrissent son oeuvre.                             Le narrateur et auteur, Philippe retrouve par hasard Paul à Montréal où il est invité à une séance de dédicace dans une librairie.
     Paul habite et travaille à Montréal. Il vit toujours avec sa femme.
 Philippe vient accompagné de son dernier ami.
     Que peuvent se dire des anciens amants qui ont vécu une relation intense autour d'un dîner de retrouvailles avec les conjoints respectifs ?
     Dîner fantasmé ou réel, Philippe Besson nous convie à sa table et entre non-dits et confessions, le moment est propice aux rancœurs et à la nostalgie.
     Philippe Besson parle de lui, de ses amours et de ses rencontres. Il nous dit combien l'écriture a été nécessaire à sa vie et à l'homme qu'il est devenu.
     Ce qui m'a intéressant ici ce sont les propos de l'auteur sur l'origine de sa création littéraire, l'histoire de ses livres.  
     Un roman qui se lit agréablement et qui permettra peut-être à l'auteur de passer à autre chose.
  Philippe Besson - Dîner à Montréal - Editions Julliard - Parution Mai 2019 - 190 Pages - 19 €  

jeudi 13 juin 2019

Camille de Peretti : Le sang des Mirabelles



     Camille de Peretti dans "Le sang des Mirabelles" nous emmène sur les traces de deux sœurs rebelles qui refusent de se soumettre à leur condition de femmes en plein cœur du Moyen-Âge.
     Alors que le Roi Neuf part en croisade avec les seigneurs de son royaume pour se racheter du  massacre d'innocents dans une église qu'il a fait brûler, les alliances se font et se défont dans le pays.
     Ainsi le seigneur Lion avant de suivre son roi va marier sa fille Eleonore surnommée la Salamandre à Guillaume dit l'Ours et placer la plus jeune Adélaïde auprès d'elle pendant son absence.
     Adélaïde sera au service de la sœur de Guillaume, destinée à passer ses journées à broder et Éléonore à être une épouse soumise et donner un héritier mâle à son époux.
    Les deux jeunes filles sont foncièrement insoumises, Adélaïde refuse de broder et préfère étudier les plantes et l'art de soigner auprès d'un vieil apothicaire juif surnommé le Vieux Hibou.
     Quant à Eleonore, après une nuit de noces fort triste, elle tombe sous le charme d'un beau ménestrel et après avoir vécu l'amour courtois elle succombe à une grande passion amoureuse.
     A la façon d'un conte et dans une langue médiévale cocasse , l'auteur nous raconte cette soif qu'ont les hommes pour le pouvoir, la gloire, les honneurs et la guerre. Il est aussi question de camaraderie derrière les beuveries et les filles.
     C'est un livre qui raconte le statut de la femme à une époque où la connaissance est suspecte et conduit à la chasse à la sorcellerie. La femme par qui tout le mal arrive, se doit de rester ignorante et se taire.
     L'impact de la religion est puissant et les prêtres l'utilise pour soumettre et agir comme de véritables bourreaux.
     La domination du seigneur et maître dans et hors les murs de son domaine fait frémir. Les domestiques et paysans subissent dans la terreur châtiments et jugements.
     Ce livre a quelque chose d'universel dans ses thèmes comme la place et le rôle de la femme, toujours évoluant et régressant mais aussi l'exploitation des hommes et toujours ce désir de batailles de conquêtes et de gloire que l'homme a toujours cherché.
     Un très bon moment de lecture, pour un livre qui renouvelle un peu le genre du roman historique,   intelligent avec une écriture vive qui en fait un véritable coup de cœur !
Camille de Peretti - Le sang des Mirabelles - Editions Calmann Levy - Parution Mars 2019 - 380 Pages -19.50 €

vendredi 7 juin 2019

Christine Mangan : Tangerine


       Tanger 1956, alors que sur le Maroc  souffle le vent de l'indépendance, deux jeunes femmes vont se retrouver alors qu'elles ne s'étaient pas vues depuis plus de 10 ans.
     Très amies pendant leurs études aux Etats-Unis, elles ont vécu un drame violent qui les a éloignées l'une de l'autre.
     Alice, une des deux narratrices, est une jeune mariée, très fragile et peut être un peu candide. Elle a suivi son mari à Tanger mais n'arrive pas du tout à s'y acclimater. Elle fuit le bruit de la ville, la chaleur et les gens qui déambulent dans les rues étroites. Enfermée dans son appartement, elle sort de moins en moins.
     Lucy est américaine, elle est la deuxième narratrice. Elle arrive à Tanger pour revoir son amie. Lucy est exubérante mais c'est aussi une personnalité très ambiguë. La ville l'attire, la foule la capte elle revit dans cette ambiance chaude et totalement exotique.
     Quelque peu surprise par cette arrivée, Alice avec l'accord de son mari accueille Lucy chez elle.
     Alors s'installe un jeu de faux semblant où ce qu'on croit être ne l'est pas toujours.
     Reviennent les souvenirs des années passées ensemble et le drame survenu. Les jours  passent et des personnalités obsessionnelles vivent  dans une parenthèse de chaleur et de méprise.
     Passé et présent se mêlent dans une ambiance vénéneuse de tourment psychologique.
     Quelques longueurs sans doute où l'auteur, pour son premier roman,  pose des indices qui indiquent au lecteur le cœur de l'histoire mais on tient jusqu'au bout.
     J'ai tenu jusqu'au bout parce que la description de Tanger m'a fascinée. C'est l'Orient disparu, c'est la profusion des couleurs, la chaleur intense, le mystère à chaque coin de rue et le mélange des cultures et de la population.
     J'ai aimé déambuler dans ces rues écrasées de chaleur, boire un thé à la menthe et regarder la mer si bleue si intense.
Christine Mangan - Tangerine - Editions Harper Colins France - Traduit de l'Américain par Laurence Manceau - Parution Mars 2019 - 320 Pages - 20 €

lundi 3 juin 2019

Isabelle Autissier : Oublier Klara

      Dans son dernier opus Isabelle Autissier, nous emmène sur les pas de  Iouri aux confins du grand Nord dans une quête de la vérité sur Klara,  sa grand-mère paternelle russe.
      A l'époque de Staline, soupçonnée de trahison, elle est emmenée un soir sous les yeux de son mari et son fils, on ne la reverra plus jamais.
     Iouri vit désormais aux Etats-Unis, il est ornithologue et enseigne dans une université.
      En froid avec son père, un homme violent, Iouri apprend que ce dernier va mourir et le réclame à ses côtés. Il lui demande avant qu'il ne soit trop tard de faire des recherches sur la disparitions de sa mère Klara.
       Iouri mène son enquête sur sa grand-mère inconnue. Elle travaillait dans un laboratoire avec son mari et vivait l'époque de  l'Union Soviétique prometteuse pour son peuple. 
       Cette quête de la vérité fera resurgir le passé familial de Iouri et dévoile un pan de l'histoire du bloc soviétique après guerre, notamment à Mourmansk, ville portuaire sinistrée.
      Son père, patron de pêche, l'initie aux sports et au socialisme. Un père qui le malmène comme lui-même l'a été dans son enfance.
        C'est grâce aux natifs des terres du grand nord, les Nenettes,  que Iouri retrouvera le souvenir authentique et éblouissant de Klara.
        La nature, la mer et l'écologie sont le centre de l'écriture de l'écrivain-voyageur, Isabelle Autissier et elle affirme ici encore une fois son engagement.
       Avec une plume délicate et intense, elle nous dépeint un paysage hostile mais sublime et nous montre tout un peuple meurtri par une époque douloureuse.
       Les relations familiales sont admirablement décrites confirmant le talent d'écrivain de la grande dame de la mer.
       A lire absolument,
Isabelle Autissieur - Oublier Klara - Editions Stock - Parution le 2 Mai 2019 - 320 Pages - 20 €

mardi 23 avril 2019

Michael Farris Smith : Le Pays des oubliés

     Avec son roman "Le pays des oubliés" , Michael Farris Smith met en scène le sud américain et particulièrement les terres âpres du Mississippi, où survivent de pauvres gens bien loin du rêve américain.
     Jack Boucher fait partie de ces désespérés de la vie sur lesquels s'abattent malheur et malchance.
     Bébé abandonné sur les marches de l'Armée du Salut, Jack est rempli de désillusions, il changera souvent de familles d'accueil et de foyers.
     A l'âge de 12 ans, il arrive chez Maryann qui l'aidera à regarder au loin mais qui ne pourra pas l'empêcher de partir pour combattre.
      Elle restera pourtant son point d'attache, sa mère adoptive.
     Jack met toute sa rage et sa profonde solitude dans des combats clandestins qui le démolissent  et le plongent dans une dépendance de  drogues pour calmer ses douleurs.
    Maryann a vieilli, atteinte d'Alzheimer elle se retrouve en maison de retraite. La saisie de sa maison où elle l'a accueilli va ramener Jack auprès d'elle pour y livrer l'ultime combat de la délivrance.
     J'ai beaucoup aimé l'ambiance de ce roman sombre où l'espoir effleure peu. L'auteur nous dépeint des destins faits de poussière et de violence dans l'Amérique profonde.
    Mais si les personnages sont attachants, l'auteur met en place une intrigue aux rebondissements un peu trop convenus. L'argent perdu, retrouvé , beaucoup de rencontres de hasard avec des personnages un peu caricaturaux. Comme Annette, cette jeune femme superbe tatouée qui cherche son père.
    A lire pour cette ambiance moite quelque part dans le Delta du Mississippi.
Michael Farris Smith - Le Pays des oubliés - Editions Sonatine - Traduit de l'Américain par Fabrice Pointau - Parution Janvier 2019 - 248 Pages - 20 €

lundi 22 avril 2019

Laird Hunt : Les Bonnes Gens

     "Les Bonnes Gens" est un livre de Laird Hunt, auteur américain et une découverte saisissante de lecture avec une profonde réflexion sur la violence de l'esclavage et sur cette Amérique si fascinante et déconcertante à la fois.
     Ginny est une vieille femme blanche qui au soir de sa vie, se souvient.   
     En 1850, de son plein gré, elle suit à 14 ans un cousin de sa mère dans la Kentucky pour devenir son épouse.
     Il lui promet une grande maison "Le Paradis". Sur place elle découvre un élevage de cochons, des esclaves dont deux toutes jeunes sœurs et un univers où son amour pour les livres sera annihilé.
     C'est l'enfer qu'elle vivra avec la violence de son mari et quand ce dernier abusera des deux jeunes esclaves, elle fera vivre l'enfer à toutes les deux.
      Quand le mari-bourreau est tué, les rôles s'inversent et les victimes deviennent tyrans.
     A travers plusieurs voix et des genres d'écriture variés, l'auteur nous raconte l'âme humaine à travers l'histoire des pionniers de l'Amérique en rendant la violence ordinaire. La vengeance s'exerce sans haine comme une évidence et submerge le lecteur. 
      C'est un texte dont l'émotion coupe le souffle et si les descriptions de la vie de Ginny et du calvaire des esclaves nous ébranlent les silences imposés par l'auteur sont encore plus forts.
      La lecture est intense, parfois difficile par sa construction, mais la narration reste toujours d'une grande maîtrise.
Laird Hunt - Les Bonnes Gens - Editions Actes Sud - Paru Février 2014 -  Traduit de l'américain par Anne-Laure Tissut - 256 Pages - 21.80 €
               

mercredi 17 avril 2019

Cyril Gely : Le prix

     Avec "Le prix" Cyril Gely nous raconte des faits historiques à travers un huis clos haletant et bien mené autour de deux scientifiques réels, Otto Hahn et Lise Meitner.
     Nous sommes en Décembre 1946, dans une chambre d'hôtel de Stockholm à quelques heures de la remise du Prix Nobel de Chimie.
     Otto Hahn va recevoir la récompense suprême pour ses travaux sur la fission nucléaire. 
     Mais c'est une visite qu'il reçoit avant, celle de Lise Meitner qu'il n'a pas revue depuis 8 ans et avec laquelle il a travaillé pendant 30 ans.
      Scientifique comme lui, elle a été sa collaboratrice et une chercheuse de talent. Signant ensemble des articles, poursuivant inlassablement leurs travaux à l'institut de chimie de Berlin, leur destin semble lié à jamais par leur passion commune, ils sont amis.
     Mais en 1938, la barbarie nazie s'abat sur l'Europe et Lise doit fuir  Berlin où elle est en danger parce qu'elle est juive.
     Réfugiée en Suède, elle doit recommencer sa vie et son travail à zéro. mais elle continue de correspondre avec Otto et l'aide dans ses recherches.
     Malgré le régime nazi, Otto continue de travailler et ses travaux aboutissent. En signant seul l'article sur la fission nucléaire il obtient le Prix Nobel de chimie.
     Mais aucune référence n'est faite à Lise dans ses interviews et son discours. C'est pour ça que Lise vient lui rendre visite pour demander des comptes, des explications.
      Otto explique la situation de Lise dans l'Allemagne nazie et l'obligation de son éloignement mais Lise lui rappelle combien elle a souffert de cette non reconnaissance et de son oubli.
     Outre la biographie des personnages que l'on découvre, l'auteur fait un travail remarquable dans la fiction en mettant en place des dialogues finement conçus et une ambiance troublante.
     Le livre est intéressant aussi pour les thèmes qui en ressortent tel que le rôle donné à la femme dans la société ou l'antisémitisme présent. Des questions qui restent très actuelles.
     D'autres questions viennent nous troubler, comment se fait la résistance dans un pays qui a mis au pouvoir l'ignoble, comment les scientifiques ont pu travailler pour un tel régime et puis peut-on oublier si vite ce qui s'est passé ?
  Cyril Gely - Le prix - Editions Albin Michel - Parution le 2 Janvier 2019 - 224 Pages - 17 €
  

dimanche 31 mars 2019

Orhan Pamuk : La femme aux cheveux roux

     Depuis toujours Orhan Pamuk, le grand auteur turc et prix Nobel de Littérature ne cesse de clamer son amour pour Istanbul, sa ville et à travers la force de son écriture et  sa passion des mots, nous offrir la magie de l'Orient dans la plus belle des nostalgies.
     Avec "La femme aux cheveux roux", il nous sert un récit profond, bien que plus ramassé, sur les relations père/fils sur  fond de mythes avec une histoire d'amour et d'abandon contemporaine.
     Cem, se rêvait écrivain mais, le départ de son père du domicile familial le contraint de vite gagner de l'argent pour payer ses études.
      Pendant l'été 1985, il se rend dans le petit village d'Orongon au sud d'Istanbul pour travailler avec un maître puisatier.
      Mais avant son départ, il découvre dans une librairie de la ville, les mythes et légendes à travers l'histoire d'Oreste qui a tué son père.
      Durant ce dernier été de l'adolescence , Cem travaille avec le maître puisatier qui lui apprend la technique ancestrale pour trouver l'eau, source de vie et de civilisation. Peu à peu cet homme comblera l'absence et le silence de son père.
      Sous le ciel d'Orient, le puisatier et l'adolescent se transforment en conteurs et invitent les mythes et légendes dans leurs soirées étoilées.
       Une troupe de théâtre se produit dans le village et Cem tombe amoureux fou d'une femme aux cheveux roux qui en fait partie, ils vivront une brève et intense relation passionnelle, mais un drame l'oblige à quitter précipitamment son travail d'été et le petit village.
       Un roman habilement et somptueusement construit, qui nous emporte sur plusieurs décennies de l'histoire de la Turquie à travers la vie de Cem et de ses multiples rebondissements.
      De placer les légendes de la mythologie dans le quotidien des différents personnages nous permet de toucher l'universalité.
      Un très beau roman sur la transmission, l'amour, le temps avec une écriture plus que jamais séduisante, à lire absolument.
Orhan Pamuk - La femme aux cheveux roux - Editions Gallimard -Traduit du Turc par Valérie Gay- Aksoy - Parution mars 2019 - 304 Pages - 21 €

samedi 16 mars 2019

Delphine de Vigan : Les gratitudes

     Delphine de Vigan poursuit sa réflexion sur les sentiments humains.
     Un an après "Les loyautés" (analysé dans le blog) où elle parlait de l'alcoolisme des jeunes adolescents , elle explore ici la reconnaissance, celle de tous les jours que l'on ne montre pas forcément ou alors trop tard.
      Un texte court met en scène trois personnages qui vont trouver un réconfort dans une affection commune.
       Michka, une vieille dame arrive à un moment douloureux de sa vie où les mots se perdent pour ne plus revenir. Elle ne peut plus rester chez elle et doit aller dans une maison de retraite.
      Désormais, elle reste dans sa chambre. Marie une voisine qu'elle a connue enfant la soutient et lui rend visite.
      Jérôme, l'orthophoniste s'occupe d'elle et essaie que sa mémoire et ses mots continuent de l'habiter encore un peu.
      Mais trop vite, son monde devient petit et Michka ne possède plus l'énergie pour continuer. Les mots lui manquent et les conversations deviennent décousues. La peur survient face à l'inéluctable fin.
       Pourtant sa mémoire résiste et avant de partir, elle voudrait retrouver les personnes qui l'ont sauvée pendant la guerre, elle, la petite juive.
        Avec une profonde délicatesse, Delphine de Vigan lie les destins de ses personnages sans entrer dans les détails d'une vie et le lecteur ressent leur attachement profond.
        Chaque personnage reprend la narration pour se répondre dans un roman d'une grande sensibilité et les non-dits nous touchent alors davantage.
        Il est question d'un sujet difficile et douloureux celui de la maladie et de la fin de vie. Les mots qui ne reviennent plus ou mal, le corps affaibli, la peur qui s'installe devant le vide qui arrive et cette vie que l'on ne peut retenir.
       Ce n'est pas gai, mais c'est beau. De Vigan transmet la beauté des sentiments dans des personnages attachants et la lecture en est plus lumineuse encore.
Delphine de Vigan - Les gratitudes - Editions JC Lattès - Parution Mars 2019 - 192 Pages - 17 €

vendredi 15 mars 2019

Antoine Choplin : Partiellement nuageux

     Dans le sud du Chili, en plein pays Mapuche, Ernesto est astronome dans un modeste observatoire à Quidico au Chili, en territoire Mapuche.
     L'installation est vieillissante,  et à ce titre il se rend à Santiago pour commander une nouvelle pièce.
     Loin du monde, il observe le ciel à infini et entretient des relations tranquilles avec les derniers indiens du coin. 
      Ernesto a la tête dans les étoiles.
     Mais ses déplacements à  Santiago le conduisent à chaque fois au musée de la Mémoire, qui expose les photos des martyrs des années sanglantes de Pinochet.
     Il y retrouve le visage de Pauline, sa lumineuse fiancée disparue pendant cette période. 
     Lors de sa dernière visite il croise le chemin d'Ema, elle aussi a  dans sa vie un disparu.
     La rencontre amoureuse va se dérouler de façon sensible sur fond de souvenirs douloureux. Les promenades dans les paysages magnifiques des montagnes chiliennes nous envoûtent.
     "Partiellement nuageux" le dernier opus d'Antoine Choplin nous entraîne dans l'Histoire de la dictature du Chili et sur les traces des portés disparus ainsi que le difficile travail de résilience.
     Comme à son habitude, l'auteur économise les mots et le souffle. Il nous porte dans un texte court d'une grande nostalgie avec deux personnages simples mais profonds aux parcours pourtant différents.
      Il laisse au lecteur la maîtrise des mots pour le porter à la réflexion. Avec un mot il ouvre la porte de la souffrance et de la violence, avec un autre il nous donne la possibilité d'une rédemption.
      Les histoires de chacun sont différentes et Antoine Choplin nous touche particulièrement par la façon qu'il a de voiler les détails avec pudeur.
Antoine Choplin - Partiellement nuageux - Editions de La Fosses aux Ours - Parution Janvier 2019 - 140 Pages - 16 €
     
     


vendredi 8 mars 2019

Adeline Dieudonné : La vraie vie

     Adeline Dieudonné est une jeune auteure belge. Dans son premier roman "La vraie vie" absolument surprenant et bouleversant,elle nous raconte l'histoire d'une petite fille dont on ne saura pas le prénom. Avec elle nous pénétrons dans son univers de banlieue, dans sa famille apparemment très ordinaire.
     La jeune narratrice a 10 ans au début de l'histoire et nous la suivons pendant 5 ans. Dès les premières lignes elle nous présente sa maison, son père, sa mère et surtout son petit frère, Gilles qu'elle adore.
     C'est banal, et pourtant il y a une chambre spéciale dans cette maison, la chambre des cadavres.... On est accroché.
     Puis le  quotidien ordinaire se teinte de gris, le gris des maisons du lotissement "Le Démo" où elle habite près d'un bois.         Son père est un homme sévère et peu affectueux, il aime regarder la télé le soir en buvant son whisky, et la chasse toutes les chasses et puis il se défoule souvent sur sa femme aussi.
      La mère subit, la narratrice la compare à une amibe. Elle n'aime que ses chèvres. Elle encaisse, ne dit rien mais prépare les repas.
     Et puis il y a Gilles, le petit frère, avec lequel la petite fille s'échappe pour inventer une vraie vie ailleurs et puis ils vont manger des glaces. C'est l'enfance on peut encore rêver de possible.
     Un jour, un drame arrive justement avec le vendeur de glaces et le petit frère est profondément perturbé. 
      Ce drame nous ouvre les failles d'un univers douloureux, où la quête semble impossible.
La petite fille, attirée par la chimie, cherchera par tous les moyens à rendre le sourire à Gilles.
      Il y a beaucoup de poésie dans ce drame social d'une noirceur accablante. La fillette possède une belle intelligence et pendant cinq été elle évolue dans une réalité sauvage et hostile qui vacille.
      Un très beau roman qui bouleverse où l'on frôle le drame à chaque page. Il y a un peu de Brel dans cette histoire, "Chez ces gens là...on ne rêve pas, non"
      A lire, pour veiller sur cette petite fille.
Adeline Dieudonné - La vraie vie - Editions de l'Iconoclaste - Paru Août 2018 - 270 Pages - 17 €

lundi 18 février 2019

Jean-Claude Grumberg : La plus belle des marchandises

     100 pages d'émotion pure 100 pages pour raconter ce qui ne peut exister et qui pourtant un jour a été fait par l'homme 100 pages pour ne pas oublier.
     "La plus belle des marchandises" est un conte. C'est marqué sur la couverture, mais alors c'est un conte des temps modernes celui qui a fait exploser l'humanité.
     Dans les bois vivent un pauvre bûcheron et sa pauvre bûcheronne, parce qu'il en faut un bois dans les contes. Dans la plus profonde des forêts là ou existent la peur, le froid et la faim et où vivent des hommes soumis travaillant pour des vainqueurs vert de gris.
     Un train traverse la forêt profonde, à des heures régulières tous les jours il passe. La pauvre bûcheronne rêve d'enfant et d'amour à donner, et elle a faim aussi.
    Il paraît que c'est un train de marchandises, alors c'est un conte on peut rêver et un jour un petit paquet est jeté par une main anonyme, un petit paquet enveloppé d'un fichu de prières d'or et d'argent.
     C'est un bébé, une petite fille, c'est l'amour qui revient l'amour que l'on donne et celui que l'on reçoit. Mais le mal s'abat tout autour.
     Bien sûr, on sait tous que ce train qui passe si régulièrement comme jamais les trains n'ont été aussi ponctuels, est un des nombreux trains qui sillonnent l'Europe pour transporter les Juifs et autres indésirables mourir dans les camps de la mort.
     Jean-Claude Grumberg s'est malheureusement nourri de son histoire personnelle pour  perpétrer le devoir de mémoire. Les mots dits se lisent avec respect et émotion.
      Dans ce très beau texte, il nous raconte une histoire de famille et de main tendue d wagon  par amour qui va sauver son enfant et de celle qui va  recevoir,  l'aimer et le porter à la vie.
      L'épilogue  que l'auteur nous délivre est puissante et bouleversante.
      Oui les contes ça existent, et celui là plus que jamais alors faisons le lire et étudier dans les écoles. Raconter cette main qui s'échappe du wagon de marchandises pour honorer la mémoire de tous ceux qui ont souffert et sont morts sous le joug nazi.
       A lire absolument,
Jean-Claude Grumberg - La plus précieuse des marchandises - Editions Seuil - Parution Janvier 2019 - 128 Pages - 12 €

dimanche 17 février 2019

Bénédicte Belpois : Suiza

     Le premier roman de Bénédicte Belpois s'inscrit dans la rentrée littéraire de Janvier et offre une lecture d'une grande sensibilité. C'est un véritable coup de cœur.
     C'est un roman confession qui débute comme l'explication d'un fait divers par Tomas, le héros un solitaire taiseux, veuf depuis une vingtaine d'année, d'une femme pour laquelle il n'éprouvait pas d'amour.
     Tomas est très riche, il possède des terres et du bétail en Galicie. A 40 ans il aime soigner ses eucalyptus pour la pâte à papier.
     Depuis des années avec Ramon, il a l'habitude de finir la journée au bar du village.
     Mais Tomas vient d'apprendre qu'il est atteint d'un cancer. Obsédé par sa mort imminente, il commence les traitements sans en parler autour de lui.
     Au café il y a Suiza, la nouvelle serveuse. Elle est belle comme un soleil et d'une sensualité absolue.
      Elle arrive de Suisse, on sait qu'elle a quitté le foyer en stop pour voir la mer. Elle est présentée comme simple d'esprit, un peu trop naïve mais terriblement attirante.
     Quand il croise son regard , Tomas éprouve une pulsion et une attirance purement sexuelle.                 L'auteur s'empare d'une histoire qui débute dans des relations de sexe très violentes. Mais avec beaucoup de maîtrise elle analyse les sentiments amoureux qui évoluent.
     Dans une nature chaude et lumineuse, la relation de Tomas et Suiza se transforme en histoire amoureuse profonde.
     Les autres personnages illuminent le paysage malgré leur passé douloureux et l'auteur propose une fin remarquable à cette histoire hors du commun.
      La confession de Tomas est coupée par des chapitres en italique où Suiza prend la parole avec toute sa fraîcheur. Le texte sonne juste.
       Très beau roman, une écriture sensible.
Bénédicte Belpois - Suiza - Editions Gallimard - Parution Février 2019 - 256 Pages - 20 €

vendredi 15 février 2019

Rosella Postorino : La goûteuse d'Hitler

      Rosella Postorino s'empare d'une histoire vraie pour raconter un épisode de la deuxième guerre mondiale en s'inspirant du témoignage de Margot Wolk, la dernière goûteuse d'Hitler.
     En 1943, Hitler est reclus dans sa tanière en Prusse Orientale (Allemagne maintenant) et poursuit la guerre sur le front russe. Enfermé dans sa paranoïa, il est persuadé qu'on cherche à l'empoisonner.
     Une brigade de 10 femmes allemandes est recrutée contre rémunération pour goûter tous les repas du Furher. Chaque jour, un bus vient les chercher à leur domicile et sont conduites dans une ancienne école transformée en caserne.
     Parmi elles et contre sa volonté, l'héroïne Rosa Sauer est une jeune femme allemande dont le mari combat sur le front russe.
     Le roman alterne les scènes de dégustations forcées et surveillées  par des soldats SS et les événements déterminants de la folie nazie avant la guerre jusqu'à l'attentat manqué d'Hitler en Août 44.
     Rosa Sauer est un personnage attachant, ballottée dans la barbarie de l'Histoire elle se bat pour survivre malgré la peur et la violence. 
     Les personnages qui l'entourent, que ce soit Elfriede une autre goûteuse ou Ziegler, le capitaine du camp nous montrent un peuple abusé et meurtri à la fois bourreau et victime.
    Un roman écrit avec une plume sincère qui ne juge pas mais dépeint l'humanité au cœur de la page la plus noire de l'Histoire allemande parmi les fanatiques du Furher.
     Le lecteur est au plus près du monstre, dans son refuge et dans sa folie. La lecture devient angoissante devant la réalité des faits.
    Un moment de lecture intense avec une héroïne qui a vu comme tant d'autres leur famille et leur vie sacrifiées en raison des guerres et de l’absurdité des hommes.
Rosella Postorino - La goûteuse d'Hitler - Traduit de l'italien par Dominique Vittoz - Parution Janvier 2019 - 400 Pages - 22 €

jeudi 14 février 2019

Philippe Besson : Un certain Paul Darrigrand

     Lors d'un déménagement, Philippe Besson retrouve dans un carton une ancienne photo de lui avec un ancien amoureux. Cette photo est prise pendant un séjour sur l’Île de Ré en hiver 1988.
      Alors qu'il est étudiant en droit à Bordeaux, il rencontre sur le campus Paul Darrigrand. Au premier regard, c'est le coup de foudre, tout est consommé. Mais Paul, de 3 ans son aîné, est marié.
     Ils vont vivre une passion amoureuse. Elle est forcément clandestine. Cette même année, Besson tombe gravement malade.
     Entre passion amoureuse et maladie, entre les études et les séjours à l'hôpital, cette année très particulière reste pourtant la plus année année de la vie de l'auteur.
     Celle où il a rencontré et aimé un certain Paul Darrigrand. 
     L'auteur s'empare du passé pour raconter  l'âme et les corps.
     Moins fort que la découverte de son premier amour dans "Arrête avec tes mensonges", Besson poursuit sa veine autobiographique très intime avec une réflexion profonde sur la création littéraire.
     Il nous plonge au cœur de la passion amoureuse adultère dans laquelle il vit entre désir et jalousie, il souffre de n'être pas unique pour l'être aimé.
     Philippe Besson se répète à souhait en interpellant le lecteur à qui il raconte ses souvenirs amoureux.
     Il écrit pour ne pas oublier, pour dire que ça a existé, il multiplie le "je" devenant le confident du lecteur. Il sait manier la fulgurance des sentiments, le doute qui vient et l'absence.
     De longs (trop) passages entre parenthèses ramènent le lecteur dans la fin des années 80 par le biais de faits divers et d’événements politiques de l'époque.
     Un livre sans grande profondeur malgré la délicatesse et la finesse de l'observation, il manque l'essentiel l'intérêt du récit. Trop mécanique sans grande émotion.
Philippe Besson - Un certain Paul Darrigrand - Editions Julliard - Parution Janvier 2019 - 212 Pages - 19 €     

samedi 9 février 2019

Eric Vuillard : La guerre des pauvres

     Eric Vuillard s'empare de faits historiques pour créer une histoire vraie. 
     Les mots sont choisis, maniés et décortiqués pour rendre ici la puissance de la révolte des pauvres gens. Il arrive à donner aux dialogues un ton actuel.
     La naissance de l'imprimerie à Mayence au 15ème siècle a permis la traduction et la diffusion de la Bible. Elle est traduite dans la langue que le peuple comprend, et non plus avec le latin élitiste. 
     Les livres se sont répandus et la connaissance du monde a fait prendre conscience de la réalité des uns par rapport aux autres.
     Depuis de nombreuses révoltes de paysans se sont déroulées en Europe. Le peuple relève la tête, pose des questions, interpelle les riches.
     A travers la vie très romanesque de Thomas Munzter, Eric Vuillard donne la parole à ceux que l'Histoire oublie.
     Munzter a été un pasteur et théologien en Allemagne. Il a écrit le Manifeste de Prague en 1521 où il exhorte les pauvres à ne plus se soumettre à l'ordre social et religieux. Avec eux il va mener le mouvement de la révolte luthérienne face aux religieux et aux princes.
     Réprimés dans la violence ces soulèvements marquent un changement et des nouvelles voix se font entendre.
     Eric Vuillard mène avec talent un récit court et bien  rythmé qui interpelle avec l'actualité et qui fait réfléchir aussi à l'importance et la puissance des livres qui disent le monde. 
Eric Vuillard - La guerre des pauvres - Editions Actes Sud - Parution Janvier 2019 - 80 Pages - 8.50 €

mercredi 6 février 2019

Sophie Van der Linden : Après Constantinople

     "Après Constantinople" est un court roman qui plonge le lecteur dans un Orient fantasmé et envoûtant. L'histoire est mystérieuse et le narrateur nous la raconte d'une façon originale et intense.
      Au début du 19ème siècle, une délégation d'artistes français est invitée à Constantinople pour un échange culturel.
      Georges Henri François est peintre et il décide de quitter le groupe afin d'acheter des fustanelles, jupe du costume traditionnel des hommes des Balkans. Son voyage va l’emmener hors des sentiers habituels, aux confins de l'empire Ottoman au pied des montagnes, dans une mystérieuse fabrique.
      Perdu dans la nature, reclus dans une grande maison, il fait la connaissance de l'intendante du domaine qui accepte de lui céder des fustanelles s'il accepte de réaliser des fresques pour certaines salles du domaine.
     Mais le peintre est perturbée par cette femme Noire, par sa présence ensorcelante et énigmatique tout comme l'histoire de sa vie. Elle est charismatique et les conversations échangées vont ébranler sa vision du monde et de l'Orient.
          Sophie Van der Linden emmène le lecteur dans des contrées inconnues avec des détails géographiques époustouflants et une étude psychologique des personnages d'une grande finesse.
     Les observations sont décrites par un artiste et nous assistons à la création d'une oeuvre. Les couleurs, les matières et la lumière nous troublent et l'on est pris d'une certaine langueur.
     L'Orient, la place des femmes et l'art autant de thèmes intelligents mis en valeur par une écriture et une intrigue subtile.
     Ça fait du bien de retrouver un roman où l'imaginaire nous saisit hors du temps et de l'espace.            A  lire absolument pour une belle échappée !
Sophie Van der Linden - Après Constantinople - Editions  Gallimard - Parution Janvier 2019 - 160 Pages - 19 €

mercredi 23 janvier 2019

Julia Kerninon : Ma dévotion

     Sur 300 pages, Julia Kerninon nous tient en haleine avec un  monologue qui nous raconte  la dévotion d'une femme pour un homme. 
     Je l'ai lu comme on écoute une longue confession et l'effet est très particulier. Si je ne suis pas attirée par les romans d'amour, celui-ci m'a intéressé par le suspense et la tension qui rendent cette dévotion très vénéneuse.
     Helen rencontre par hasard à Londres Franck, qu'elle n'a pas revu depuis plus de 20 ans. Autrefois ils étaient amis et amants mais toujours amis.
      Ils se sont connus à l'adolescence à Rome et ont fui leur famille respective peu aimante,  pour partir étudier à Amsterdam dans l'appartement de famille d'Helen.
     Très vite, elle sait qu'elle veut faire une carrière dans les livres, devient une critique littéraire reconnue et plus tard ouvre sa maison d'édition. Elle travaille dur,  tandis que Franck prend son temps pour choisir, goûter la vie et  se décider sur le tard à devenir artiste peintre. Il sera effectivement un peintre très célèbre.
      Commence pour eux à Amsterdam, une vie d'étudiants, de jeunesse, c'est la bohème. Ils sont là l'un pour l'autre et Helen gère tout. Petit à petit elle accepte les écarts et les copines de passage de Franck. Après tout ils sont amis, c'est trop solide eux deux.
     Jusqu'au jour où Franck rencontre la femme de sa vie Anna et où commencent  des périodes d'éloignement y compris quand Helen se marie. Mais ils continueront à se retrouver, à vivre ensemble. Ils ne se perdent jamais complètement. Mais ils ne formeront jamais le couple amoureux qu'Helen espère toujours.
     Les années passent et c'est en Normandie qu'on les retrouve pour leurs dernières années de vie communes jusqu'en Janvier 1995 où un drame se produit. Car évidemment drame il y a.
     Le roman est construit en huit chapitres qui relatent leurs existences. Des moments clefs et fondateurs d'un parcours de vie tortueux où les mensonges sont tus volontairement et où l'on regarde que ce que l'on veut bien voir. Franck reste beau libre mais il est un menteur cruel pour Helen toute à sa dévotion.
     Helen sur ce trottoir, pendant plusieurs heures, va dépecer leurs vies et raconter ce qui s'est passé.
     Un livre haletant d'une grande maîtrise à l'écriture fluide et au suspense bien mené.
 Julia Kerninon - Ma dévotion - Editions du Rouergue - Parution Août 2018 - 304 Pages - 20 €
      

lundi 21 janvier 2019

Isabelle Desesquelles : Je voudrais que la nuit me prenne

   
    Clémence vit l'été de ses huit ans, elle fêtera son anniversaire en Août.
      Elle grandit tranquillement et doucement dans une maison au milieu d'une nature belle et sauvage.
      Elle vit dans l'amour absolu de ses parents qui s'aiment aussi et le montrent. La légèreté accompagne sa vie de moments infiniment délicieux. C'est l'odeur de la tarte aux pommes que fait sa maman, ce sont les départs pour l'école main dans la main de son papa instituteur, amoureux des mots.
      Les journées s’égrainent au fil de saisons dans un amour si beau et une douceur éclatante que ça durera toujours.
     Clémence nous raconte Just, son amoureux depuis la maternelle et sa grand-mère adorée mais aussi sa cousine.
     Elle raconte les caresses et les baisers, les chansons que sa mère fredonne et les livres qu'ils lisent ensemble.
     De l'amour à n'en plus finir, voilà le livre, la biographie d'une petite fille heureuse.
     Sauf qu'à un moment, la petite fille prend un autre ton, plus sérieux et grave, rempli de nostalgie et de souvenirs. La profondeur du ciel lui rappelle ceux qui sont partis et que les étoiles illuminent, pour toujours les retrouver.
     Le lecteur est perturbé, l'univers  devient sombre. Pourquoi ? Les histoires de Clémence ne sont plus une impression de l'enfance mais une analyse fine de la précarité du bonheur.
     Le livre a basculé dans une autre émotion et la tension devient intense au fil des pages.
    Je n'en dirai pas plus, c'est un livre qui nous chavire par la beauté d'un invincible amour, fil conducteur magique de ce roman qui a été récompensé par le Prix Fémina des Lycéens 2018.
    Petite Clémence lumineuse que l'on a du mal à oublier. 
Isabelle Desesquelles - Je voudrais que la nuit me prenne - Parution Août 2018 -  Editions Belfond - 208 Pages - 18 €

Atiq Rahimi : Les porteurs d'eau

     Très attendus sont les mots de Atiq Rahimi, romancier franco-afghan,  et son dernier roman nous comble par son intensité littéraire.
     Déjà avec Singé Sabour, Pierre de patience, le Prix Goncourt 2008 (analyse dans le blog 22 11 08), l'auteur nous avait subjugué par son éloquence et sa poésie qui nous emportait dans une histoire aux tonalités de conte persan.
     Le roman se concentre ici sur une journée, celle du 11 mars 2001 où les destins de deux hommes vont basculer à jamais. 
     Deux hommes que le monde sépare et qui ne se croiseront jamais mais qui pourtant partagent les mêmes origines et le même poids ancestral.
     Tom est un exilé afghan qui vit à Paris. Travaillant comme commercial, il se rend ce matin très tôt à Amsterdam en voiture. 
Mais aujourd'hui il ne reviendra plus, il a décidé de quitter sa femme. Il va retrouver à Amsterdam sa toute jeune et mystérieuse maîtresse.
       Tom, qui a francisé son prénom n'en peut plus de porter ses racines, son passé.  Dans un ultime geste de liberté, il fuit sa vie avec sa femme afghane, il quitte tout ce qui le retient à son pays. 
        Durant cette journée, il comprendra dans les bras d'une autre, que l'on ne peut pas abolir son histoire et ses racines.
     Yûsef, lui vit à Kaboul. Il est tôt , il doit se lever dans le matin glacé. Il est le porteur d'eau. Avec son outre, il va à la source et rapporte l'eau à la mosquée pour les ablutions des fidèles. Les Talibans veillent et distribuent les coups de fouet si le travail n'est pas accompli.
     Yûsef, porte le poids de son passé dans sa charge de porteur d'eau, il est solitaire et parle peu. Comme le veut la tradition, il doit s'occuper de sa belle sœur dont le mari est parti mais il en tombe amoureux.
     Grâce à elle, il ressent de nouveaux sentiments inconnus jusqu'alors et que la religion interdit.
     Le 11 mars 2001, les Talibans en quelques secondes font exploser les deux Bouddhas souriant géants de Bayiam anéantissant des siècles d'un passé culturel et originel.
    Atiq Rahimi nous plonge sur l'histoire et le passé de son pays que les Talibans veulent détruire. Il nous parle de l'exil et de la liberté. Il nous invite à un jeu d'amour et de désir dans une société brutale avec des mots empreints d'une grande justesse.
Atiq Rahimi - Les Porteurs d'eau - Edtions P.O.L. - Parution Janvier 2019 - 288 Pages - 19.5 €
    
     

Laura Kasischke : Eden Springs

     Inspiré d'une véritable histoire, "Eden Springs" s'empare de la vie de Benjamin Purnell, un prédicateur très charismatique ayant fondé une secte, la Maison de David,  en 1903 dans le Michigan. 
      Durant 20 ans, les adeptes viendront du monde entier rejoindre le roi Benjamin dans l'endroit qu'il a baptisé Eden Springs.
     Il promet non seulement la vie éternelle mais aussi la jeunesse éternelle. Entraînant avec lui de nombreuses jeunes filles, toutes de blanc vêtues, folles de lui.
     Entre roman historique et faits réels, l'auteur nous décrit le quotidien d'une communauté religieuse idéalisant une vie au plus près de la nature,  ne mangeant pas de viande, vivant des fruits de leur verger. La communauté ouvre aussi un parc d'attraction qui connaît un grand succès.
     Ni violence, ni sexe sauf pour Benjamin attiré de plus en plus par la beauté et les jeunes filles qui le vénèrent. 
     Le sujet est intéressant, le lecteur sait que quelque chose de grave s'est passé à travers la lecture de documents de procès, de coupures de presse relatifs à la mort suspecte d'une fidèle. Le fossoyeur découvre le corps d'une toute jeune fille d'à peine 17 ans .Commence alors une enquête et la fin de Benjamin.
     Les chapitres s'ouvrent sur un document réel et l'auteur le termine en apposant ses mots. Kasischke invente des  personnages et des situations, elle met en forme l'histoire, assez effroyable dans un quotidien qui paraît paisible.
     Mais il manque quelque chose à ce livre pour qu'il soit plus abouti. La lecture est perturbée par la construction littéraire faite de documents. Certes les photos de la communauté à la fin du livre donnent une intense et troublante vérité et la postface de Lola Lafon est très efficace.
     Les amateurs de Laura Kasischke retrouve ici l'ambiance particulière de ses romans évoquant le trouble et l'emprise de la sexualité, la jeunesse et ce fil si ténu entre la vie et la mort.
     Benjamin représente la partie pourrie du rêve américain dans ses abus et ces vies sacrifiées. 
     L'auteur sort de l'oubli ces femmes abusées et soumises qui ont été fascinées par lui.
 Laura Kasischke - Eden Springs - Editions Page à Page - Traduit de l'américain par Céline Leroy - Parution Août 2018 - 172 Pages - 18 €