je veux encore rouler des hanches,

je veux me saouler de printemps

je veux m'en payer des nuits blanches

à cœur qui bat, à cœur battant

avant que sonne l'heure blême

et jusqu'à mon souffle dernier

je veux encore dire "je t'aime"

et vouloir mourir d'aimer

Barbara

lundi 26 décembre 2016

Rabih Alameddine : les vies de papier

      Le Prix Médicis Etranger 2016 a récompensé, "Les vies de papier" de Rabih Alameddine et c'est une merveille d'éblouissement que ce moment de lecture à la fois savoureux et mélancolique.
     L'auteur met en scène une vieille dame de 72 ans, ayant toujours vécue à Beyrouth, restée chère à son cœur. 
     Aalya a tenu une librairie pendant plus de 50 ans, elle est devenue une lectrice passionnée. Répudiée et divorcée, elle n'a pas suivi le parcours des femmes libanaises (mariage et famille) et a choisi de vivre seule.
     Avec rigueur, elle débute chaque année par le rituel d'une nouvelle traduction d'un roman qu'elle choisit minutieusement.
     Tranquillement sa vie s'est écoulée entre la librairie et le rythme de ses lectures et traductions,  malgré les drames, malgré la guerre et sa vie familiale douloureuse et difficile.
      Beyrouth,  flamboyante et meurtrie, est très présente dans ce roman, comme la vie de l'immeuble où habite Aalya avec ces femmes qui malgré les contraintes sociales se créent des moments d'évasion intenses.
      C'est un livre riche de toutes les lectures d'Aalya et il y en a beaucoup, du monde entier. Elle nous donne envie de lire ou relire ou connaître ces auteurs cités avec délectation. Elle sait en parler, elle a vécu toutes ces vies de papier et à travers elles, elle nous raconte son histoire. Les citations sont savoureuses et elles l'aident à comprendre sa vie. C'est beau.
     Un livre écrit pour les amoureux des mots, de la littérature mais qui évoque beaucoup de thèmes : la société orientale où les mères chérissent davantage les fils que les filles, Beyrouth en guerre, la fuite du temps, l'outrage des ans et puis l'isolement, la solitude malgré les livres.
     Le lecteur s'attache à Aalya parce qu'elle nous invite dans sa bulle en nous offrant son amour des mots.
      Avec son style étonnant et talentueux, l'auteur rend un hommage sincère à la littérature avec des références littéraires et musicales très riches; il nous emporte dans une ville tourmentée avec une femme rare, Aalya.
Rabith Alameddine - Des vies de papier -  Editions Les Escales - Traduit de l'anglais par Nicolas Richard - 304 Pages - 20.90 €

        


dimanche 25 décembre 2016

Amos Oz : Judas

       Auteur emblématique de la littérature israélienne, Amos Oz met en scène, dans son nouveau roman, un huis-clos subtil dans une          Jérusalem coupée en deux en 1959.
      Dans une maison de la ville pendant un hiver, trois personnages hantés par leur passé,  vont apprendre à se connaître malgré leur différence. 
     Cette construction  intelligente et précise permet à Oz d'évoquer l'amour, la création d'Israël avec le fil conducteur de la trahison.
     Onze ans après la naissance d'Israël,  Shmuel jeune étudiant idéaliste, socialiste , un hypersensible à la larme facile, est quitté par sa copine. Dépité et sans le sou, il abandonne alors sa maîtrise sur "Jésus dans la tradition juive". Répondant à une annonce, il devient l'homme de compagnie d'un vieil et original érudit , Gershom Vald et qui vit avec sa belle-fille Atalia Abravanel.
     Shmuel va habiter avec eux et tomber amoureux fou de la belle et très sensuelle Atalia, une femme taiseuse, pas facile et qui a le double de son âge.
      Tout au long de cet hiver, dans ce curieux refuge, les destins de ces trois se mêlent et l'ambiance évolue. Au départ difficiles, les échanges deviennent passionnés entre le jeune étudiant épris de paix et défendant les palestiniens et le vieil homme protagoniste de la création d'Israël.
     Ces échanges philosophiques et politiques sont l'occasion d'évoquer Micha, le fils de Vald, brillant mathématicien, massacré au combat en 1948.
     Le père d'Atalia, s'est opposé aux idées nationalistes de Ben Gourion, il a été banni du parti et est mort en traître à la cause juive. A travers sa trahison, il est bien sûr question de Judas qui reste la figure biblique du traître.
      Mais qu'est ce un traître ? Et c'est là qu'Amos Oz fournit un roman d'une grande richesse. Lui seul sait mêler avec talent l'histoire, la politique et la religion. Il faut dire que ces thèmes sont indissociables quand on parle d'Israël.
       Dans une écriture limpide, l'auteur nous offre aussi un roman de vie, d'apprentissage, qui fait réfléchir, qui fait espérer aussi.
       Tant que les hommes ne cesseront de parler, d'échanger tout reste possible.
       Un roman qui se savoure.
Amoz Oz - Judas - Editions Gallimard - Traduit de l'hébreu par Sylvie Cohen - 352 Pages - 21 €
   

Raj Kamal Jha :Elle lui bâtira une ville

     Trois personnages vont évoluer dans ce livre étrange et attachant, des héros portant en eux une histoire lourde et une immense solitude : Homme, Femme et Enfant ainsi nommés.
      Ils vivent ou survivent dans une mégapole indienne où tout proclame le luxe effréné et impitoyable face à la plus infâme pauvreté. Ils nous entraînent dans une sarabande déchirante où l'imaginaire dépeint la plus sordide des réalités.
     Homme, d'origine très modeste,  a réussi dans l'immobilier et devenu milliardaire, écrasé par la certitude que l'argent peut tout payer y compris ses plus inavouables fantasmes. Il passe son temps dans son appartement de très grand standing et dans sa limousine avec chauffeur.
      Là, il se laisse aller à ses rêves et ses cauchemars, comme par exemple son envie de tuer ou  de violer des petites filles, de faire du mal.
     Lors d'une virée, il ramène chez lui une pauvre mère et sa fille avec un ballon rouge tenu par le poignet. Homme les lave, les nourrit et au bout de la nuit les reconduit sur leur trottoir...
     Femme est une veuve qui vieillit seule. Sa fille unique, a fugué à l'âge de 19 ans, sans explication. Cette dernière revient, meurtrie et mutique, chez sa mère mais ne souhaite que dormir, ne surtout pas répondre aux questions maternelles.
     Pourtant la mère se souvient, c'était une petite fille aimante et attentionnée. Mais elle n'a pas supporté de voir son père remplacé, aujourd'hui que lui arrive-t-il ?
     Enfant, est un bébé abandonné une nuit de canicule sur un tas d'ordures face à un orphelinat. Une infirmière va s'occuper de lui mais un jour grâce à la complicité d'une chienne incroyable il va s'échapper.
     Mêlant imaginaire poétique et réalité sans vibrante, l'auteur utilise une narration changeante et nous tient en haleine dans cette peinture détaillée et glaçante de la société indienne où luxe et misère existent côte à côte.
      Ce roman passionnant, un véritable coup de cœur pour cette fin d'année, m'a fait penser à Murakami pour son côté onirique et poétique. La vie et les pensées paranoïaques d'Homme ainsi que la technique d'énumération des listes de marque (vêtements, boisson) m'a rappelé le name dropping cher à Breat Easton Ellis et son délirant American Psycho.
      Un roman qui nous tient, nous émeut et nous invite à une réflexion profonde sur les besoins véritables de l'homme.
Jha Kaj Kamai - Elle lui bâtira une ville - Editions Actes Sud - Traduit de l'anglais (Inde) par Eric Auzoux - 416 Pages - 23.50 €



mercredi 7 décembre 2016

Leïla Slimani : Chanson douce

     

     Récompensée par le plus prestigieux de nos prix d'automne, le Prix Goncourt, Leïla Slimani assène dès les premiers mots : le bébé est mort, une onde d'horreur qui ne quitte pas le lecteur pendant le premier chapitre.
      La situation est dite clairement dans toute la violence d'un acte que l'auteur prendra le temps de placer et de remonter dans le temps.
     La chanson douce n'est pas, elle cède la place à un roman sociétal brutal et un thriller où l'auteure excelle en donnant au lecteur le jeu de l'enquête.
     C'est l'histoire d'un couple bobo parisien, débordé et dépassé où le jeune père de deux enfants se défonce avec dynamisme dans son travail de musicien et la jeune mère désire reprendre son travail d'avocate.
     Arrive alors la nounou, Louise que l'on n'attendait pas. Merveilleuse, le coup de foudre pour tous, gentille, serviable, trop peut-être.
     En tout cas elle devient vite indispensable pour le couple et le piège va se refermer sous nos yeux, les parents restant trop pris par le travail, par leur vie, par eux.
     Mais qui est Louise ? Finalement on ne sait pas ce qu'elle fait, quand elle quitte l'appartement douillet où tout est rangé, propre, la cuisine faite et les enfants choyés.
     Portrait percutant de trois personnages où la solitude, la souffrance et le rejet construisent un drame psychologique où la folie guette.
     Dans une écriture sobre avec une construction implacable, l'auteure narre la chronologie des événements qui basculent dans l'horreur.
     C'est un constat dérangeant sur notre société où les gens ne se voient pas, ne parlent plus le même langage. Les uns pris par le tourbillon de la réussite professionnelle et financière oubliant enfants et responsabilités familiales et les autres, que l'on voit à peine. Ils sont remplis d'attente, d'amour et de reconnaissance. Pauvres fantômes évoluant dans un monde parallèle.
     C'est un roman puissant, qui interroge sur les fêlures cachées, les abîmes de folie qui se découvrent trop tard parce que l'égoïsme étouffe.
     Un prix mérité, une auteure sensible et forte à l'écriture digne pour décrire un drame de la vie.
Leïla Slimani - Chanson douce- Editions Blanche Gallimard - 240 Pages - 18 €


mercredi 2 novembre 2016

Négar Djavadi : Désorientale

     Négar Djavadi donne la parole à Kimia, peut-être son double littéraire, et à travers le récit de sa vie, elle nous raconte l'histoire de sa famille.
     De la Perse ancienne à l'Iran d'aujourd'hui, elle explique les révolutions qui ont marqué son pays et plongé sa famille dans un exil douloureux. Kimia nous embarque dans l'imaginaire des mille et une nuits. Dans la magie d'un Orient disparu.
     Parler, écrire pour conjurer la peur, pour poser des mots sur l'exil et continuer de vivre.
     La narratrice se trouve dans une salle d'attente dans un hôpital parisien. Elle vit un tournant important de sa vie puisqu'elle a décidé d'avoir un enfant par GPA.  Seule, elle attend le médecin, ce moment sera pour elle l'occasion, de convoquer les souvenirs, les événements du passé qui l'ont conduite ici  et les différentes étapes de l'histoire de sa grande famille.
     L'histoire commence avec celle de son ancêtre, maître d'un harem aux femmes languissantes et parfumées,  dernier survivant d'un Orient aux mille et une saveurs.
     Mais c'est aussi la plongée de son pays dans l'implacable dictature du Shah, ne pensant que par les dollars et l'Amérique, pour ensuite subir  une révolution religieuse qui va imposer à son peuple  un ignorance absolue et l'impossibilité d'un autre monde.
     Issue d'une famille d'intellectuels opposants au Shah et à Komehy ensuite, elle dépeint des portraits de parents, grand-parents et sœurs absolument cocasses et extraordinaires.
     Avec un parcours hors du commun, elle brosse la lutte pour la liberté et le devoir de mémoire qui s'impose.
     L'exil est au au cœur de ce livre dense et généreux, tous les exils vécus par des hommes et des femmes différents aux yeux des autres, à l'instar de Kimia, rebelle mais libre.
     Il est bien sûr question de liberté, vue et portée par une Iranienne, et d'identité faite de toutes les différences.
     Une très belle écriture, à bout de souffle qui nous emporte et nous perd avec félicité dans une multitude de prénoms et de vies évocateurs de contes orientaux.
        A lire, pour comprendre aussi l'Histoire complexe de l'Iran et de ses relations très nouées avec la France.
Négar Djavadi - Désorientale - Editions Liana Levi - Août 2016 - 352 Pages - 22 Euros

dimanche 23 octobre 2016

Valentine Goby : Un paquebot dans les arbres

     S'inspirant d'une histoire vraie, Valentine Goby pour son dernier opus nous emmène au début des années 50, début des 30 Glorieuses, dans une société qui change et qui bouge.
     L'époque des belles héroïnes atteintes de la tuberculose qui finissaient dans un sursaut d'amour et de toux est bien loin, même si beaucoup d'auteurs ont sublimé ce genre d'histoires.
     C'est au café le Balto, à la Roche - Guyon à une cinquantaine de kilomètres de Paris, que l'auteur situe l'histoire d'une famille que la maladie va bouleverser à jamais et isoler de la société et du travail.
     Ici le roman  s'empare de thèmes forts et le drame qui arrive brutalement nous plonge, lecteur, dans un monde très dur.
     Paulot et Odile sont les patrons du Balto, cette épicerie-café-bar au cœur de la petite ville et lieu de détente, de refuge et de danse. Et Paulo c'est le roi du Balto quand il prend son harmonica et joue pour ses clients-amis. Jusqu'au jour où il s’effondre, frappé par la maladie.
     Il doit partir au sanatorium, "le paquebot" et vendre son affaire.
Femme et enfants sont sans ressource, menacés par la contagion, mis au ban de société et des amis.
     Une chute inexorable, tout bascule, c'est une existence de misère profonde qu'ils vivent. Famille et fratrie sont explosées jusqu'à la débâcle finale.
     C'est Mathilde la cadette qui revient sur les lieux de leur passé et porte la voix d'un récit magnifique, loin des clichés et porté par une certaine lumière.
     Beaucoup de thèmes sont abordés ici.
     La relation amoureuse et intense des parents l'un pour l'autre, allant même jusqu'à la maladresse avec les enfants.
     Il se trouve aussi les différences d'amour avec les enfants, l'aînée plus aimée, plus protégée et puis la cadette Mathilde qui fera tout pour se faire remarquer par son père, même à jouer les dures et prendre des décisions d'adultes.
     Et puis le regard que portent les gens sur l'inconnu et la maladie, sur l'isolement, sur l'étranger.
     Valentine Goby nous rappelle la société des années 60 où les traitements médicaux coûtaient chers et la protection sociale n'était pas encore telle qu'elle est aujourd'hui.
     Les mots de l'auteur nous accompagne, toujours très forts et puissants. A travers un drame social puissant, elle nous livre un message d'amour chargé d'émotions vives.
Valentine Goby - Un paquebot dans les arbres - Editions Actes Sud - Août 2016 - 271 Pages - 19.80 €

lundi 17 octobre 2016

Donald Ray Pollock : Une mort qui en vaut la peine

     Revoilà Pollock, génial conteur, écrivain à la plume impitoyable et pourtant  si tendre pour ses personnages explosés par la vie, ces ratés poursuivis par l'éternelle poisse.
     Dernier roman de cet  homme qui dans ses livres (Knockemstiff, Le Diable, tout le temps) crie toujours son amour et sa haine pour une Amérique perdue dans l'alcool et la misère, dans le racisme et l'inculture.
     Bref, un roman que j'attendais.
     En 1917, alors que l'Amérique se prépare à entrer en guerre contre l'Allemagne et  à mobiliser ses troupes, commence pour les trois frères Jewett la plus macabre et étourdissante des cavales.
     Trois gamins, sales, affamés et naïfs, tout juste orphelins sont lâchés dans un monde sans pitié et sans morale et ont juré de tout faire pour se sortir de leur triste sort.
     Ils décident de faire, comme leur héros de papier dont le frère aîné leur racontait l'unique histoire, de cambrioler des banques, avoir plein d'argent pour manger, boire et profiter de la vie.
     Rien ne se passe comme prévu et la violence et la mort s'invitent à leur danse frénétique.
     Dans leur course chaotique, ils rencontrent des personnages tous plus déjantés et ravagés par une vie de misère et de bêtise.
     Ils vont accompagner un temps les trois frères, et l'auteur nous montre un échantillon de cette humanité que l'Amérique est capable de créer : des pauvres bouseux, des êtres pervers et tourmentés, des mystiques, des salauds, tous remplis d'une telle imbécillité que l'on a honte d'en rire.
     Parce que l'on rit au détour d'une phrase bien placée, aux mots justes comme sait si bien les écrire Pollock.
      Dans un style sec et nerveux avec un vocabulaire parfois très cru qui embarrasse, l'auteur analyse très finement et au plus profond la noirceur de l'âme humaine. 
      Et parce qu'elle est humaine, on se régale de ces portraits d'illuminés et on s'attache à ces trois gamins et à leurs rêves de gosse.
      1917, c'est l'Amérique qui se construit et s'industrialise, qui va prendre le pas sur la vieille Europe. C'est une fresque et un constat d'un pays toujours en prise avec ses contradictions originelles.
      A ne pas manquer de lire.
Donald Ray Pollock - Une mort qui en vaut la peine - Editions Albin Michel - Traduit de l'anglais (Etats-Unis) par Bruno Boudard - Octobre 2016 - 576 Pages - 22.90 €
   

Kent Haruf : Nos âmes la nuit

     Le dernier opus de l'écrivain américain Kent Haruf, disparu en 2014 à 71 ans, nous parvient avec une intensité et une délicatesse extrême.
     Un livre épuré et dense qui nous mène sur les derniers pas d'amour d'un couple improbable, Addie et Louis.
     Dans le Colorado cher à son cœur, et dans sa ville imaginaire Holt, l'auteur nous parle de nos actes manqués, de nos souffrances de vie, de ce que l'on rate. Il nous évoque l'amour d'une manière éclatante.
     Addie est une septuagénaire aux beaux cheveux blancs. Après beaucoup d'hésitation elle va frapper à la porte de son voisin Louis, ancien professeur et lui fait une bien étrange proposition. Ils sont veufs tous les deux.
     Elle lui demande s'il est d'accord pour dormir de temps en temps avec elle. Juste dormir, et puis parler aussi,  passer le cap des nuits de longue solitude.
     Il accepte. Se met en place un rituel entre eux. Avant de dormir, un verre de vin pour elle, une bière pour lui.
     Petit à petit, ils apprennent à se connaître, à se parler, à se confier. Ils se racontent leur existence, pour elle celle d'une très jeune mère et épouse, pour lui celle de l'époux infidèle se rêvant  poète.
      Ils s'accompagnent, s’accommodent et s'aiment simplement. Les rumeurs arrivent et  ils s'en moquent, ils avancent mais les enfants s'en mêlent....
     Quelle délicatesse et quelle intensité ! Haruf nous parle d'amour mais aussi d'intolérance.
     C'est un roman qui rend hommage à la nature et à l'âge aussi, à travers cette belle quête de l'amour chez deux personnes qui n'y croyaient plus.
Kent Haruf - Nos âmes la nuit - Editions Robert Laffont - Traduit de l'anglais ( Etats-Unis) par Anouk Neuhoff - 180 Pages - 17 €

dimanche 16 octobre 2016

Laurent Gaudé : Ecoutez nos défaites

     Assem et Mariam se rencontrent un soir dans un bar d'hôtel. Chacun se trouve à un moment charnière d'une vie bien remplie. Ils sont lucides et n'ont plus une foi absolue dans leur travail et l'humanité.
     Mariam est archéologue à la recherche des trésors et œuvres d'art pillés et mutilés au nom de la guerre, du fanatisme religieux et de la bêtise humaine.
     Assem lui est agent spécial, il a fait partie des commandos qui assassinent au nom de l'Histoire et justement il a pour sa dernière mission, l'ordre de remettre sur les rails un ex agent de la CIA qui lui a participé à la fin de Ben Laden.
     Viennent ensuite trois héros de l'Histoire que l'auteur convoque pour comprendre et réfléchir sur la folie meurtrière qui s'empare des hommes à travers les siècles.
     Grant, le général de la guerre de Sécession, homme d'un idéal, deux fois président des jeunes États-Unis portant jusqu'à la fin de ses jours le surnom de "boucher". C'est dire..
     Hailé Salassié, délaissé de tous se verra contraint à l'exil, il fera pourtant souffrir son peuple à son retour dans son pays.
     Hannibal, porte en lui la liberté pour son peuple sous le joug de Rome. Pendant 20 ans, il combattra l'empire romain pour se voir trahir par les siens.
     Tous portent en eux des combats et des victoires. Dans le sang et les larmes, ils ont guerroyé, ils ont perdu aussi.
      Les massacres, les morts qui ont conduit aux victoires pour les uns ont toujours entraîné chez les hommes un sursaut de prise de conscience. Non plus jamais ça ! Et pourtant tout recommence, à chaque fois plus violent, à chaque fois pour des causes plus exacerbées que jamais, les hommes s’entre-tuent.
      Laurent Gaudé questionne de façon lancinante sur des thèmes pas vraiment nouveaux.
      Mais son style, avec des phrases efficaces et des paragraphes courts, fait monter la tension. L'écriture comme toujours devient poétique et intense. Et ses dernières phrases, "Écoutez nos défaites" reviennent comme un refrain envoûtant et universel.
      Malgré une construction complexe au début, par son anachronisme et ses personnages nombreux, Laurent Gaudé rapproche avec talent l'Histoire d'hier avec celle d'aujourd'hui, et la magie romanesque est présente.
     Très belle lecture.
Laurent Gaudé - Écoutez nos défaites - Éditions Actes Sud - Août 2016 - 28  Pages - 20 €

      

lundi 26 septembre 2016

Emma Cline : The Girls


     Emma Cline est une jeune auteure américaine de 27 ans. Dans son premier roman, The Girls,  elle réinvente l'été 1969 où la monstrueuse famille Manson s'est rendue tristement célèbre en massacrant Sharon Tate et d'autres personnes.
     Ici les noms ont changé, et Russel est le chef charismatique et complètement fou d'une communauté, qui électrise des jeunes filles bien seules et fragiles.
     C'est ce qui va attirer Evie, en manque de repères, d'éducation, d'amour et d'affection dans une famille éclatée.
     Elle a 14 ans quand elle croise Suzanne une grande brune, libre et rebelle qui avec ses amies refusent le monde actuel et vivent sans foi ni loi dans un  ranch paumé et sale auprès de Russel.
     En maraude dans les supermarchés, elles volent, récupèrent de la nourriture, se droguent. Elles sont dangereuses mais tellement attirantes pour Evie qui se voit renaître.
     Sous l'emprise de Russel et de ses drogues, dans un ultime acte d'horreur, elles massacrent dans la folie la plus complètent.
     C'est par la voie de la narratrice, Evie, que nous parvient l'histoire.
     30 ans après les faits qui se sont déroulés pendant cet été, elle raconte comment elle a été fascinée par ce groupe de jeunes filles, par l'envie d'appartenir à la famille, par l'emprise que Russel avait sur elles. Elle se souvient du silence et de la solitude qui remplissaient son existence avant de les rencontrer.
     Alors qu'elle vit seule dans une petite maison, elle voit son passé resurgir par les questions que lui pose une jeune fille. 
      Ce roman est brillant par sa construction littéraire. Deux situations alternent avec beaucoup de délicatesse.
      La voix d'Evie, âgée qui raconte la jeune fille paumée qu'elle était, prête à tout pour se faire aimer. Sa rencontre et son séjour avec les filles et leur chef dans ce ranch loin de tout.
      Et puis le recul pour constater, pour critiquer une société qui se voulait nouvelle, pour mettre à bas sans concession les sixties et son flower power.
      Une écriture audacieuse, une ambiance glauque malgré un ton poétique. La réussite incontestable de ce roman est qu'en changeant les noms des protagonistes ainsi que les lieux et les actes, l'auteure s'inscrit dans un message universel. Il résonne de l'actualité, en racontant ainsi l'origine des meurtres revendiqués au nom d'une appartenance.
Emma Cline - The Girls - Editions Quai Voltaire - 336 Pages - 21 €
     
      

Luc Lang : Au commencement du septième jour

     Luc Lang écrit ici dans son dernier roman, un texte magnifique sur l'histoire d'un homme, Thomas.
     Sa vie bascule en pleine nuit, quand le téléphone sonne et qu'il apprend que sa femme, Camille, est victime d'un très grave accident de voiture sur une route de Normandie. Que faisait-elle là ? 
     C'est à ce moment précis que nous pénétrons dans son existence, celle d'un père de deux enfants, d'un mari, d'un homme d'affaires accompli.
     Et là, on ne le lâche plus.
    Thomas va essayer de comprendre, mais surtout d'apprendre. Il mènera à sa façon une enquête pour connaître les raisons pour lesquelles Camille se trouvait là, à cette heure.
     Il remontera le passé, plongeant ainsi dans une quête qui lui mettra sous les yeux les failles de sa vie.
     De Normandie où Camille est plongée dans un coma, à Paris où Thomas se retrouve débordé par la gestion de son travail et ses deux enfants,nous le voyons changer, nous le voyons se délester de tout ce qui encombre une vie : les disputes, les non-dits, les vanités.
      De sa réflexion sur quel sens donner à sa vie, Thomas en fait une quête lumineuse pour renouer avec un passé oublié et meurtri.
     Dans les Pyrénées d'abord avec son frère, berger ayant repris l'exploitation familiale, il s'approchera d'un être qu'il a mal connu. Il sera confronté à la transmission, au travail mais aussi à la famille et ses secrets.
      En retrouvant sa sœur, médecin au Cameroun, Thomas retrouve les liens de la filiation, de l'identité et sur ce qui fonde ou sépare une famille.
      Tantôt haletant, tantôt abattu, Thomas n'aura de cesse de se tourner vers le futur.
       D'une histoire simple, l'auteur en fait un texte riche sur les questionnements de vie, pas de réponse pourtant puisque l'essentiel est ailleurs.
       L'histoire d'un homme qui tente de reprendre sa vie en main, de rattraper un passé enfoui et de continuer encore.
       Du rythme, un style et un ton pour un très bon roman.
Luc Lang - Au commencement du septième jour - Editions Stock - 544 Pages - 22.50 €
      

lundi 29 août 2016

Mélanie Finn : S'enfuir

     Quittée par son mari, Pilgrim est une femme seule et désespérée, c'est alors qu'elle cause un terrible accident de la route.
     Elle vit en Suisse, et ce drame la poursuit chaque jour, dans le regard des autres,  l'accusant du terrible terme de "Kindermörderin".
     Elle décide de partir, à l'aéroport elle choisit une destination au hasard et se retrouve en Afrique.
     Mais même en Afrique le passé la hante toujours et au fil de ses rencontres, très particulières, des signes bizarres lui apparaissent.
     Une histoire brutale , une intrigue captivante dans une Afrique où persistent toujours magie, croyances et  corruption .
     Beaucoup de choses arrivent à Pilgrim et nous suivons son parcours à la recherche d'une rédemption toujours plus difficile à atteindre. 
      Suivant les traces de l'héroïne en Afrique, elle nous raconte aussi la Suisse, sa vie comment elle a vécu toute sa désespérance à travers les deux drames qui ont marqué sa vie.
     Puis dans le deuxième chapitre la parole est donnée aux différents personnages de l'histoire. Ainsi le lecteur voit l'histoire de Pilgrim se préciser plus nettement.
     Comment échapper au poids et au choc du passé ? Peut-on vraiment y arriver quand la culpabilité hante les journées et les nuits ? 
     Un ouvrage plaisant à lire, une découverte de lecture qui sert une histoire habilement construite et intéressante.
     Le style est facile, les chapitres clairs. 
Mélanie Finn - S'enfuir - Editions les Escales - Traduit de l'anglais par Rose Labourie - 352 Pages - 21.90 €

dimanche 28 août 2016

Fabrice Humbert : L'origine de la violence

Alors qu'il visite le camp de Buchenwald avec ses élèves, le narrateur qui est un jeune professeur se retrouve dans le musée du camp, devant la photo d'un homme qui ressemble étrangement à son père.
Ce regard qui traverse le temps et l'observe, va continuer de l'obséder à son retour en France, et il mènera une enquête pour découvrir l'histoire de cet homme.
Il apprend alors qu'il s'agit en fait de son véritable grand-père.
Appartenant à une famille très bourgeoise, cette vérité bouleverse toutes les certitudes et lève le voile sur un secret familial .
Habilement fouillé et bien documenté, le roman pose la question de la violence et de son origine.
La connaissance de ce secret familial mêlé à la barbarie de la seconde guerre mondiale, va aider le narrateur à comprendre et à expliquer la violence qui l'habite depuis si longtemps.
A la recherche de la vérité, le jeune homme va marcher sur les traces de ce grand-père méconnu, juif et déporté, dans une histoire d'amour qui aurait pu être banale si le vent de l'histoire n'avait pas soufflé.
C'est le destin de deux familles qui se croisent et se déchirent, l'une juive et pauvre, l'autre riche et qui se veut bien pensante.
A travers l'histoire de cet homme, l'auteur mêle histoire personnelle et universelle et à travers le destin de ce juif torturé par la folie nazie, rend hommage à toutes les victimes.
Dans ce livre, l'auteur explore les thèmes de la violence, de la Shoah au secret de famille en passant par la violence dans les lycées et l'ignoble affaire du gang des barbares; il interroge la sombre jalousie qui condamne un innocent, la vengeance que l'on est tenté de faire, les situations où l'homme n'est pas vraiment brillant.
En forme d'enquête policière et d'interrogations, Fabrice Humbert écrit un récit clair et haletant et rappelle qu'au XXème siècle, celui de la peur disait Camus, il ne faut jamais oublier qu'à un moment des hommes se sont transformés en bourreaux.
Fabrice Humbert - L'Origine de la violence - Le Livre de Poche - 352 Pages - 7.10 €

samedi 27 août 2016

Colum McCann : Treize façons de voir

   
      Dans son dernier recueil de 5 nouvelles, dont un très court roman de 150 pages, Colum Mc Cann nous entraîne au bout de la violence en étudiant ses conséquences psychologiques et traumatiques sur ses personnages.
     Faisant écho à sa propre expérience, l'auteur a été victime d'une très violente agression, il arrive à mettre assez de distance pour transformer le lecteur en témoin.
     Le résultat est froid et implacable comme les coups qui sont donnés sans raison allant jusqu'à une sauvagerie hallucinée.
     La violence donc,  comme fil rouge et une lecture qui se veut sans concession.
     "Treize façons de voir", la première nouvelle éponyme, plutôt une novella, raconte la dernière journée d'un vieux magistrat, ses dernières heures aussi. Vus par les yeux des caméras, que ce soit chez lui, dans la rue ou au restaurant, ces ultimes moments de  vie volée  sont poignants.
     Nous regardons le vieil homme revivre ses années de travail, ses relations difficiles avec son fils, ses ambitions, à toute une vie qui est passée et nous assistons aux coups qui lui sont portés.
     Dans la nouvelle, "Sh'Kohl", qui veut dire en hébreu, les parents qui ont perdu un enfant, l'auteur sonde l'angoisse incommensurable d'une mère adoptive divorcée face à la disparition de son fils. 
     "Le traité", met en scène une religieuse qui revient 30 ans en arrière après avoir reconnu à la télévision l'homme qui l'avait enlevée, séquestrée et violée. Les mots parlent d'une difficile résilience et l'émotion est forte.
     Beaucoup de style et une certaine poésie, malgré la thématique de la violence, se dégagent de ce recueil. L'auteur raconte l'intime et son vécu apporte une réalité confrontée à la fiction.
     Il n'en reste pas moins, une inégalité dans les textes. Mais c'est normal quand on lit des nouvelles.
     Deux nouvelles sont ultra brèves, il faut du talent aussi, mais je les considère plus comme des réflexions personnelles de l'auteur sur la création littéraire.
     C'est un livre qu'il faut découvrir parce que sa construction littéraire est très étonnante et trouve peut être sa source dans la douloureuse expérience de l'écrivain. 
Colum McCann - Treize façons de voir -  Traduit de l'anglais (Irlande) par Jean-Luc Piningre - Editions Belfond - 308 Pages - 20.50 €

mardi 16 août 2016

Jean-Michel Guenassia : La valse des arbres et du ciel

     C'est l'histoire magnifiée du dernier amour de Vincent Van Gogh pour la fille du docteur Gachet pendant un bel et ultime été, celui de 1890 à Auvers sur Oise.
     Un roman porté par une voix amoureuse, celle de Marguerite, jeune fille un peu trop fantasque, élevée dans une famille bourgeoise d'une époque qui destinait les femmes à beaucoup de choses hormis la liberté.
     Le peintre vient de quitter Arles après une hospitalisation en psychiatrie, il a besoin de repos, d'un suivi médical et d'un cadre qui le porte à la création artistique.
     Son frère, Théo, le met en contact avec le Docteur Gachet qui l'accueille chez lui. Sa fille, Marguerite, tombe amoureuse de cet homme plus âgé qu'elle, qui promène sur la vie un regard illuminé et vivant et  peint les paysages que lui seul voit de cette manière.
     A travers son récit, le lecteur plonge dans le quotidien de la bourgeoisie provinciale, et suit les chemins empruntés par le maître à la recherche de la couleur absolue.
     C'est aussi le côté sombre de la famille Gachet qui est détaillé, et particulièrement du docteur, strict, austère, meilleur négociateur opportuniste d'art que médecin .
     Jean-Michel Guenassia imagine une romanesque histoire d'amour entre Marguerite et Vincent et en profite pour questionner les derniers jours du maître avant son suicide.
     Avec des "si", il rappelle la polémique autour de la légitimité des œuvres attribuées à Van Gogh ainsi que de sa mort, essaie de donner des explications et nous plonge dans l'univers des impressionnistes novateurs et critiqués.
     Un très beau roman qui nous mène sur les pas d'un artiste hors norme à la fois solaire et sombre, vigoureux et fragile.
     L'auteur nous fait pénétrer dans son univers et les toiles de l'artiste nous accompagnent.
Jean-Michel Guenassia - La valse des arbres et du ciel - Editions Albin Michel - 304 Pages - 
19.50 €


lundi 18 juillet 2016

Metin Arditi : L'enfant qui mesurait le monde

     Metin Arditi nous emmène dans son dernier ouvrage sur l'île grecque de Kalamaki dans un paysage à la beauté éternelle et dont l'authenticité va être confrontée à un projet de marina grand luxe. 
     L'auteur nous invite dans des criques sauvages baignées par une eau bleue et noyées sous un soleil ardent. Le charme opère.
     C'est à Kalamaki qu'Eliot vit depuis le décès de sa fille il y a douze ans. Originaire de l'île, il a quitté New York et son bureau d'architecte. Dans le calme de sa petite maison, il entretient le souvenir de sa fille en terminant des recherches qu'elle avait débutés sur le Nombre d'Or.
     Il a pour voisins, Maraki, patronne de pêche et son fils Yannis. C'est un petit garçon renfermé, autiste surdoué des chiffres, qui ne pense qu'à rétablir l'ordre du monde en effectuant de savants calculs.
     Sa mère souffre de ne pouvoir l'approcher, le caresser et usée par la vie et son travail ne supporte plus les crises d'angoisse et le refus de tout contact de son enfant.
       La population vit de plus en plus mal la crise économique et financière, aussi quand un grand groupe financier propose la construction d'un complexe hôtelier de luxe, la population espère en l'avenir.
     Mais face à la menace de la dégradation du paysage de l'île, une autre proposition voit le jour, celle de la construction d'une école se fondant dans son décor.
      Avec beaucoup de sensibilité et de délicatesse, Metin Arditi nous décrit les crises d'angoisse d'un petit garçon qui arrive à s'apaiser grâce aux nombres et à l'infinie patience d'un homme vieillissant.
     L'immuabilité insulaire y est bien dépeinte et nous partageons la vie de cette société qui sait si bien protéger les siens quand il le faut.
Metin Arditi - L'enfant qui mesurait le monde - Editions Grasset - 304 Pages - 19 €

dimanche 17 juillet 2016

Jim Thompson : Pottsville, 1280 habitants

     Initialement paru dans les années 60 sous le titre "1275 Âmes", le livre de Jim Thompson subissait les affres d'une traduction tronquée et édulcorée.
     50 ans plus tard, Rivages met à l'honneur "Pottsville, 1280 habitants" en lui donnant une retraduction intégrale et travaillée au plus juste, pour notre plus grand plaisir.
     Pottsville est donc une petite ville d'apparence tranquille,  de 1280 habitants et Nick Horney y est le shérif.
     Incompétent et paresseux, il ne prend jamais de décision et se laisse humilier et bousculer en public. Son mot d'ordre est ne rien faire. Il ne sait pas de toute façon. Alors quand vient le moment de sa réélection, il sent bien qu'il risque de la perdre.
      Il décide de prendre les choses en main, et la ville va être le théâtre de meurtres et de disparition, sans parler de sombres rumeurs qui circulent.
     Alors méfions nous de l'eau qui dort, il va se passer beaucoup de choses dans cette petite ville de 1280 habitants et Horney s'avérer beaucoup moins crétin qu'il ne paraît.
     La galerie de personnages qui gravite autour de Horney est d'une bêtise abyssale, et les femmes d'une terrible vulgarité. Notre shérif s'avère manipulateur et cruel, et l'auteur nous dresse ici le portrait d'une humanité sombre et sans espoir.
     A la fois cruel mais bourré d'humour, c'est un vrai régal de lecture. Les dialogues percutent par leur ton décalé et acide.
     Avec un style incomparable et maîtrisé, Jim Thompson décrit un monde qui se perd d'une façon imparable.
      L'histoire se passe dans les années 20 mais les situations et les personnages restent tragiquement intemporels.
      Du début à la fin, un vrai plaisir de lecture.
 Jimp Thompson - Pottsville, 1280 habitants - Rivage/Noir - 270 Pages - 8 €
     
     
   

jeudi 7 juillet 2016

Yasmina Khadra : Dieu n'habite pas la Havane

                                                     
     Yasmina Khadra nous fait vivre une vibrante passion amoureuse sur des airs de Rumba dans la ville "aux mille colonnes", La Havane si belle et si décadente qui nous séduit plus que jamais.
     L'auteur nous invite à une célébration de la beauté, de la musique et de la vie. Les personnages possèdent une belle générosité et savent donner, malgré les multiples épreuves et les souffrances de la vie.
     Cuba et ses nuits, Cuba sa misère et sa ferveur dans des lendemains qui chantent, est en toile de fond mais aussi le personnage central de ce lumineux roman.
     Écrit à la première personne, Juan prête sa voix pour nous raconter l'histoire de sa vie. C'est la musique qui le fait vivre et c'est pour elle qu'il vit depuis toujours.
     A 59 ans, fier de sa gloire locale, il voit sa vie complètement anéantie quand le patron du bar dans lequel il se produit lui annonce la privatisation du Buena Vistas
     Le voilà sans travail, ni reconnaissance, confronté à un monde dont il s'est tenu à l'écart.
     Peu à peu, le quotidien reprend une place longtemps oubliée et il redécouvre un entourage familial et amical.
     Il s'aperçoit des difficultés qu'ils ont dû surmonter, de leur avenir incertain et il éprouve pour eux des sentiments oubliés.
     Quand il rencontre Mayensi, une très jeune femme à la beauté envoûtante et au passé trouble, Juan est prêt à tout pour la protéger et l'aimer.
      Mais lors d'une soirée en l'honneur de Fidel Castro, la personnalité perturbée de la jeune femme l'oblige à se pencher sur l'histoire de son passé.
      En forme d'enquête et de quête, le dernier roman de Yasmina Khadra, nous emmène sur les traces d'un homme qui va se redécouvrir en s'ouvrant et comprenant les autres. 
     Ici, les héros possèdent de belles âmes malgré les peurs et la misère, ils restent profondément  fragiles.
     A chaque roman, Khadra questionne l'homme au plus profond de lui-même. Quel que soit le pays il nous montre toutes les facettes humaines.
     Il sait rendre son récit aisé et nous charme par son écriture subtile et intelligente.
Yasmina Khadra - Dieu n'habite pas la Havane - Editions Julliard - 312 Pages - 19.50 €
    

dimanche 3 juillet 2016

Kasumiko Murakami : Et puis après

     Kasumilo Murakami, nous livre un récit très court qui débute le matin du tsunami qui a ravagé les côtes du Japon le 11 mars 2011.
     En moins de 100 pages elles nous plonge dans l'horreur de la destruction et de la mort, pendant les jours qui ont suivi le drame et nous met face à l'impossible mais nécessaire reconstruction des survivants.  
     C'est par le tremblement de terre ressenti par un pêcheur, Yasuo, que commence ce bouleversant témoignage.
      Sentant le calme anormal qui règne alors, il décide alors de mettre en sûreté son bateau. Il entraîne avec lui les autres pêcheurs de la côte.
     Avec beaucoup de courage, ils ancrent leurs embarcations au large et assistent avec effroi à la formation d'une vague gigantesque, haute et noire, qui cache un moment la plage pour laisser place à une nouvelle vague et ensuite aux incendies qui se succèdent dans leur ville.
     Après trois jours éprouvants en mer, ils regagnent enfin la côte pour constater le chaos d'un univers dévasté. Leurs maisons détruites, ils partent à la recherche de leur famille.
     Yasuo retrouve ainsi sa femme, Tokie, qui sont hébergés avec d'autres survivants, dans un gymnase où très vite la promiscuité accable, où les souvenirs hantent les nuits et les jours.
          Commence alors dans un passé englouti, le douloureux travail de reconstruction . Comment vivre en ayant tout perdu, comment occuper des journées vides de tout.
      Entre culpabilité et désœuvrement, l'espoir s'estompe pour la plupart et chacun à sa manière essaiera de continuer.
     Journaliste à Tokyo, l'auteure s'est rendue sur les lieux du sinistre et a secouru les survivants, ce sont ses mots qui racontent ici l'horreur et le quotidien perdu de ceux qui ne sont pas morts.
     Son texte est poignant mais juste, touchant avec toute la retenue possible. Elle laisse apparaître à la fin une nouvelle lumière.
     Les descriptions de cet instant où tout bascule, sont très bien rendues dès le début par les phrases décrivant la montée de la vague, ce moment de calme avant la tempête.
Kasumiko Murakami - Et puis après - Editions Actes Sud - traduit du japonais par Isabelle Sakaï - 112 Pages - 13.80 €



vendredi 1 juillet 2016

Rebecca Dinerstein : Comment être seul ?

     Rebecca Dinerstein est une écrivaine américaine, et séduit le lecteur par une histoire d'amour sensible et originale  dans le grand nord. Avec un style impétueux, elle nous fait découvrir les îles Lofoten au dessus du cercle polaire et dresse des portraits de familles très décalés et attachants.
     Frances, une New Yorkaise de 21 ans,  quittée par son petit ami avec qui elle devait partir au Japon, décide de partir seule poursuivre une classe de peinture artistique.
     Laissant derrière elle New York et sa famille, elle rejoint Nils, un artiste peintre norvégien, et travaille  avec lui sur la préparation d'une maison. La création artistique les pousse à atteindre le jaune absolu.
     Dans un quotidien strict et très studieux, Frances dans son exil solitaire découvre une fascination pour les paysages et le soleil qui suit une course infinie, les étendues époustouflantes balayées par le vent et la neige, les couleurs du froid.
     Yasha, débarque lui aussi. A 17 ans, ce fils de boulanger juif new yorkais, a fait une dernière promesse à son père, celle de l'enterrer sur la terre du "bout du monde".
     Grâce à son écriture nerveuse, l'auteur nous délivre une histoire originale et interroge finement sur la mémoire, les promesses, la transmission mais aussi sur les traditions juives.
     Les personnages qui gravitent autour des deux jeunes héros ne sont pas en reste. Chacun a suivi sa route à sa façon, ni leçon ni morale, on passe juste un moment dans ce monde.
     A lire pour la subtilité des situations.
Rebecca Dinerstein - Comment être seul - Editions Actes Sud - Traduit de l'américain par Caroline Nicolas - 320 Pages - 16.69 €

vendredi 17 juin 2016

Herman Koch : Cher Monsieur M

     Herman Koch nous revient avec un nouveau roman hargneux, à l'humour froid où les personnages restent complexes et souvent antipathiques. 
     Comme toujours les adultes sont affligeants et les adolescents magnifiquement cruels, mais comme toujours la vie passe quand même  sur ces dérapages et inconvenances.
     A la manière d'un règlement de compte Herman Koch pose des questions judicieuses  sur la création littéraire et le droit à la fiction d'utiliser des faits divers réels. 
     Monsieur M est écrivain, un vieux beau sur le retour dont le talent et surtout la notoriété s'émousse petit à petit. Dur de rester dans le coup, de plaire toujours mais heureusement Monsieur M est marié à une toute jeune femme. Alors l'illusion demeure.
     Et puis c'est le voisin, Herman le même prénom que l'auteur, qui écrit des lettres percutantes et troublantes à Monsieur M.
     Des lettres qu'il n'envoie pas mais qui expliquent le fond de l'histoire, le véritable drame.
     Alors adolescent Herman avait été accusé du meurtre de son professeur qui harcelait lui et sa petite amie de l'époque qui un temps, avait été la maîtresse du professeur.
     Monsieur M en avait fait un best seller en insistant sur une culpabilité et modifiant ainsi la vérité pour plaire au public et faire vendre.
     Un livre qui interroge sur la morale d'un écrivain quand la réalité est à l'origine de son roman.
Qu'en est-il du droit à la fiction quand les protagonistes ont souffert et souffrent encore du drame.
     Herman Koch dresse comme à son habitude le portrait d'adolescents impitoyables et de parents absents et pathétiques sans oublier les professeurs ratés.
     Le nombre de personnages, un peu trop à mon avis, rend la construction littéraire un peu lourde mais il n'en reste pas moins des passages sur la création littéraire et sur le portrait d'un auteur qui sont savoureux.
     La confrontation entre adultes (parents-professeurs) et adolescents est grinçante. 
     A lire même si le livre a quelques longueurs, il nous plonge dans un vrai suspense psychologique.
Herman Koch : Cher Monsieur M - Editions Belfond - Traduit du néerlandais par Isabelle Rosselin -
430 Pages - 21.50 €
     

jeudi 9 juin 2016

Caryl Férey : Condor

     Caryl Férey nous revient avec un roman vibrant et haletant pour nous raconter une histoire violente  où les personnages évoluent sur un fil, dans un pays qui me touche particulièrement, le Chili.
     Un peu tout à la fois, polar, politique, historique, ce livre nous emporte de plus en plus fort dans une course ultime au nom de la justice et  liberté.
     Revenant à travers ses héros, sur le 11 septembre 1973, jour qui a vu la chute et le suicide du président élu démocratiquement, Allende et l'avènement de la dictature de Pinochet et de ses militaires sanguinaires.
     Le Chili entre alors dans la période la plus noire de son Histoire. 
     Une chape de plomb s'est abattue sur la nation andine et les pleurs et la peur se sont installées pour longtemps.
     20 ans après et des milliers de massacres, de tortures, de disparitions, commis par les militaires, le Chili n'a pas pansé ses blessures malgré le retour des exilés et de nouvelles élections.
     Les coupables n'ont pas tous été punis et certains ont continué leur vie, sous une autre identité avec une autre histoire en toute impunité.
     Le Chili croit en un renouveau et celui d'aujourd'hui a du mal à oublier celui d'hier. Bourreaux et victimes vivent sur le même sol.
     De Santiago au désert d'Atacama, Stefano, le vieux militant fidèle à Allende avec Gabriella la belle indienne mapuche et Estèban, l'avocat des causes perdues mais fils de famille deviennent des enquêteurs au service de la justice dans un trafic de drogue.
     L'air est chaud, il brûle même et les paysages nous envoûtent. L'esprit chamanique n'est pas loin et les charognards non plus.
     Le rythme s'intensifie et devient haletant, l'histoire est très fouillée et presque documentaire parfois. 
     Même si je trouve juste que les personnages font trop dans la caricature sociale, il n'en reste pas moins l'ombre de Neruda sur les mots et le chant de Victor Jara.
Caryl Férey - Condor - Editions Gallimard Série Noire - 416 Pages - 19.50 Euros
     
    


mercredi 25 mai 2016

José Luis Sampedro : Le sourire étrusque

     Malade, Salvatore se voit contraint de quitter sa Calabre natale pour se faire soigner à Milan. Hébergé par un de ses fils et sa belle-fille, il déteste cette ville et ne se reconnaît pas dans ce monde trop artificiel et bruyant.
     Ancien berger,il reste amoureux de ses terres et de sa montagne. Le dernier combat de sa vie sera de survivre à son plus vieil ennemi, le fasciste de son village. 
     Aussi, interpelle-t-il la "rusca", la maladie qui le ronge peu à peu, de lui donner encore un peu de temps.
     Sa rencontre avec son petit-fils, sera pour lui un coup de cœur immense et total. Pour cet homme rustre au caractère endurci,  cet ancien partisan, homme à femmes, dont les convictions ont toujours été défendues dans l'honneur, sa dernière tranche de vie prend l'allure d'un ultime apaisement.
     Il dira les mots les plus beaux, à Hortensia, sa belle amie qui l'aidera à comprendre la vie amoureuse et l'illusion des amours passées.
     Sa connaissance des us et coutumes ancestrales lui permettront d'approcher des professeurs d'université et de faire revivre son pays.
     Le roman est d'une grande tendresse pour un héros à la tombée de sa vie mais qui va apprendre et comprendre ce qui lui a toujours manqué.
     Un livre qui aborde beaucoup de thèmes, la transmission est ici très belle. La description du petit enfant qui émerveille encore un homme qui, selon lui, a tout vu tout vécu est absolument touchante.
     Les passages sur les certitudes de Salvatore  ainsi que les critiques bien cinglantes et arrêtées sur tout ce qu'il ne veut pas comprendre sont remplies d'humour.
     Mais jusqu'au bout dans la maladie et la mort qui vient, il reste ouvert à la découverte, au bonheur.
     C'est un beau roman d'apprentissage et pas seulement pour l'enfant et c'est merveilleux.
     Un livre à redécouvrir, peut-être, puisqu'il est paru en 1985. 
     José Luis Sampedro, écrivain espagnol, dans une écriture lumineuse et claire nous parle de mort, d'amour surtout et de la mémoire.
     Il nous dit que l'existence jusqu'au bout nous offre de belles choses à découvrir. Et ça fait du bien.
José Luis Sampedro - Le sourire étrusque - Editions Métaillé - 318 Pages - 18 € - traduit de l'espagnol par  Françoise Duscha-Calandre - 

jeudi 19 mai 2016

Bret Anthony Johnston : Souviens-toi de moi comme ça

Bret Anthony Johnston nous livre ici un premier roman choc, très émouvant. Avec "Souviens-toi de moi comme ça", il nous fait pénétrer dans une famille brisée par la disparition de l'un de ses fils, Justin, à l'âge de 11 ans.
Quatre ans plus tard, la police le retrouve et nous suivons les parents dans la joie immense des retrouvailles ainsi que la difficile étape de la reconstruction.
L'enfant a grandi, il est devenu un adolescent silencieux et observateur. L'absence est encore plus ressentie par chacun.
Le père Eric a tenté d'oublier le drame par une relation adultère, la mère complètement perdue et folle d'angoisse s'est lancée dans la sauvegarde des dauphins.
Le petit frère, Griff, tente de comprendre mais se fait discret pour laisser la place à l'aîné.
Tout devrait redevenir comme avant, le kidnappeur a été arrêté et pourtant le poids des années d'absence se fait cruellement sentir pour tous.
Comment faire pour entrer en résilience ?
C'est justement ce que nous fait ressentir ce livre très bien mené et fascinant dans son style.
L'auteur centre son récit sur le quotidien des parents, avant et après. Les failles, les faiblesses sont disséquées.
Nous savons très peu de choses sur Justin, et c'est ce qui fait la force du texte.
Personne n'ose poser les questions, n'ose prendre la parole pour parler de ce qui s'est passé.
Les non-dits, les silences pèsent comme le désespoir profond  et les souffrances de cette famille.
L'auteur nous emmène dans un été torride écrasé de chaleur et de soleil,  dans le sud du Texas à Southport près de Corpus Christi sur le golfe du Mexique.
Malgré quelques longueurs qui peuvent agacer, non dans l'histoire mais  plutôt dans l'excès de réflexions, ceci reste un bon livre et un auteur à découvrir.
Bret Anthony Johnston - Souviens-toi de moi comme ça - Editions Albin Michel - 437 Pages - 22 €


mercredi 18 mai 2016

T.C. Boyle : Les vrais durs

     En lisant la préface : "L'âme américaine est dure, solitaire, stoïque : c'est une tueuse. Elle n'a pas encore été délayée", le lecteur prend acte et entame en compagnie de l'auteur et de ses personnages, un chemin douloureux dans les Etats-Unis d'Amérique balayés par la violence.
     T.C. Boyle nous revient ici avec un roman noir doublé d'un roman social. Il y raconte son pays toujours fier de l'aventure de ses pionniers. Il montre aussi une Amérique restée victorieuse et ultra-violente où toutes les anciennes valeurs n'existent plus.
     C'est l'histoire d'un constat et de celle des  hommes qui le vivent.
Sten, principal de collège à la retraite, revient de voyage dans une contrée très exotique d'Amérique du Sud avec sa femme.
     Victimes d'agression avec leur groupe, Sten se bat avec un voyou et le tue.
     De retour chez lui, considéré comme un héros, il reprend sa vie d'américain sûr de ses droits, pas très sympathique. Un problème le hante , son fils Adam en perpétuelle rébellion adolescente, est un grand psychotique.
     Persuadé dans ses délires d'être John Colter, un célèbre trappeur du 18ème siècle, il s'enfonce dans sa paranoïa jusqu'au drame.
    Sur son chemin il croise la route de Sara, une femme vieillissante, seule et surtout rebelle pour rester vivante. Elle représente l'Amérique profonde hantée par la théorie du complot et refuse toute autorité.
     Ils vont vivre un temps dans les bois, en fuite de tout et surtout d'eux-mêmes.
    Ils vont être rattrapés par la violence donnée et reçue, sans vraiment comprendre que les combats menés sont vains.
     T.C. Boyle parle toujours de nature mais ici la violence renvoie une réalité très douloureuse.
     L'auteur emploie une écriture sèche et directe pour décrire une société abîmée par la colère et la fureur sous toutes les formes.
     Sans atermoiement, il décrit le vécu de ses personnages avec leurs peurs et leurs psychoses.
     Un style percutant, à lire.
T.C. Boyle - Les vrais durs - Editions Grasset - Traduit de l'anglais(Etats-Unis) par Bernard Tule - 
441 Pages - 22 €


vendredi 6 mai 2016

Tahar Ben Jelloun : Le mariage de plaisir

Tahar Ben Jelloun évoque à travers une saga familiale dans les années 50, le Maroc qui vit la fin du protectorat français et qui est confronté au changement du monde.
Même si  certains thèmes comme la religion, le racisme, la différence ainsi que l'amour et la jalousie sont plus que jamais de grande actualité. 
Amir est un négociant prospère, il habite Fès avec sa femme et ses enfants. Un mariage qui reste très traditionnel placé sous le signe de la réussite familiale et professionnelle.
Lors de ses longs séjours pour le travail au Sénégal, Amir a l'habitude de contracter "un mariage de plaisir" à durée limitée, autorisé par l'islam pour éviter aux hommes de fréquenter les prostituées. 
C'est ainsi qu'Amir se marie régulièrement à Nabou, une splendide peule de Dakar. Cette superbe noire non musulmane et très libre, éveille en lui un amour véritable et réciproque.
Amir a choisi de ramener la jeune femme à Fès et d'en faire sa seconde épouse.
Il va se confronter à la colère et à la jalousie de sa première femme et à l'impitoyable opinion publique qui n'accepte pas qu'une noire soit placée sur le même rang que sa famille.
Bien que le Maroc ait aboli l'esclavage au début du 20ème siècle, pour le tout le monde, le Noir reste l'image de l'esclave.
La vie devient vite insupportable pour tous et surtout pour Nabou qui se voit traiter plus bas que les domestiques.
Mais Nabou donne naissance à des jumeaux, un blanc et un noir. La vie continue et la deuxième partie de ce très beau livre s'empare de la vie de ces deux garçons. L'un s'en sortira et réussira sa carrière professionnelle, l'autre prendra vite conscience que la couleur de la peau marquera à jamais sa destinée. 
Tahar Ben Jelloun nous donne une écriture lumineuse et poétique pour raconter Fès, le Maroc.
Son style et le ton de la première partie nous font voir un conte où couleur et douceur côtoient la jalousie et l'amour fou.
Mais très vite l'écriture témoigne du racisme accepté et toléré dans une société marocaine qui va vers l'indépendance.
Les années passent mais la douleur persiste devant l'identité  par la couleur de peau, le constat de la différence et ce besoin de rechercher ses origines pour survivre et transmettre.
Un roman d'une grand lucidité habité par la poésie de l'auteur.
Tahar Ben Jelloun - Le mariage de plaisir - Editions Gallimard - 272 Pages - 19.50 €



dimanche 1 mai 2016

Pierre Lemaître : Trois jours et une vie

     Pour Antoine 12 ans, la vie prend un tournant vertigineux et angoissant lors d'une après-midi de Décembre en 1999, dans le bois de St Eustache.
     A Beauvais, petite ville tranquille entourée de forêts, il vit une existence tranquille et un peu solitaire avec sa mère divorcée. Ses petits copains lui préfèrent à ses constructions de cabanes dans les bois, la toute nouvelle playstation de Kevin.
      Mal compris, un peu isolé dans une province où tout le monde se connaît, c'est le chien des voisins qui l'accompagne désormais dans ses escapades sylvestres.
     Il découvre l'injustice et la violence quand le voisin abat la bête et la jette dans une poubelle.
     Malheureux, il se réfugie dans la forêt et par accident blesse mortellement le fils de voisin, Rémi, 6ans, qui lui vouait une admiration éperdue.
     Après le constat de sa mort, commence pour Antoine une vie habitée par le silence, le mensonge et la peur d'être pris et l'envie de se rendre.
     Comment aborder une vie qui commence quand on a commis l'irréparable.
     Comment vit on avec un tel secret ? 
     C'est en abordant ces questions de la culpabilité, de la justice et des conséquences de nos actions que l'auteur nous plonge dans le drame d'Antoine et de tout un village.
     Sur des périodes clés dans sa vie, nous suivons Antoine dans une reconstruction sur le fil.
     L'auteur dépeint avec beaucoup de finesse une situation tendue, un drame d'une humanité tragique par son côté involontaire.
     Les personnages sont étudiés au plus juste autant dans leur complexité que leur cynisme.
     C'est un très bon roman noir au style vif et tranchant.
     L'auteur nous distille jusqu'au bout un suspense aux détails qui reviennent éclairer subtilement le récit.
     A lire, pour découvrir une autre facette de Pierre Lemaître qui nous avait étonné avec "Au revoir là-haut" (Prix Goncourt 2013)
Pierre Lemaître - Editions Albin Michel - 288 Pages - 19.80 Euros

vendredi 29 avril 2016

Alessandro Baricco : La jeune épouse

     Alessandro Barrico a l'habitude de créer des ambiances et univers très particuliers et parfois même étranges et d'y inviter ses lecteurs.
     Il le fait avec beaucoup d'élégance et son écriture rassemble à la fois un style envoûtant et singulier.
     Dans son dernier opus, il nous fait pénétrer dans une grande maison d'aristocrates, dans le nord de l'Italie, à l'arrivée d'une toute jeune fille venue d'Argentine.
    Promise au fils de la famille, absent pour le moment, elle est accueillie comme la seconde fille de cette famille totalement excentrique.
     Elle doit s'habituer à leur quotidien très original. Le petit déjeuner se termine dans l'après midi et le champagne y pétille souvent; des invités surgissent et continuent des conversations commencées le matin. C'est un festin très raffiné et un peu hors du temps.
     Le soir réserve d'autres rites, d'autres secrets et la jeune fille qui ne voit toujours pas arriver son futur époux sera initiée à d'autres moeurs, d'autres promesses.
     L'absence et le retour donnent à Alessandro Baricco la possibilité d'autres ailleurs. Hors du temps, il nous plonge dans une initiation sexuelle, poétique, philosophique avec des aristocrates en fin de race.
     Il écrit avec originalité sur un sujet brûlant mais sans aucune vulgarité.
     L'auteur se permet de se perdre dans ce récit pour en sortir et parler de sa vie, se contempler en train d'écrire. Le lecteur se perd un peu. La vision du roman se fait différemment.
     Mais les passages sur la création littéraire vue par l'auteur sont fort intéressants.
     Pourtant, et je regrette quoi qu'aimant beaucoup Barrico, je n'ai pas accroché à la magie de cette histoire. Je n'ai pas eu une once d'intérêt pour ces personnages. Et je ne voyais pas pourquoi un tel roman.
Alessandro Baricco - La Jeune Épouse (La sposa giovane) traduit de l'italien par Vincent Raynaud - Editions du monde entier Gallimard - 224 Pages - 19,50 Euros



mercredi 27 avril 2016

David Foenkinos : Le mystère Henri Pick

     David Foeokinos nous surprend encore une fois par sa faculté de varier les genres dans son oeuvre.
     Son "Charlotte", poème écrit en prose, nous avait ému et emporté dans la fulgurance d'une vie, celle d'une jeune peintre juive assassinée à 24 ans à Auschwitz. 
     Le dernier roman de l'auteur, "Le mystère Henri Pick", nous fait pénétrer dans une intrigue littéraire intelligente, au ton drôle et vif.
     Une jeune éditrice parisienne, ambitieuse et carriériste, Delphine, rend visite à ses parents à Crozon. Elle se rend à la bibliothèque municipale et y découvre une pièce consacrée aux livres refusés par les maisons d'édition.
     Elle trouve la perle rare, l'oeuvre remarquable, le roman bouleversant sur la fin d'une histoire d'amour, attribué à Monsieur Pick, pizzaiolo local.
     Mais comment a t il pu écrire ça, lui qui n'écrivait que sa liste de courses ?
     Le mystère qui entoure sa vie et son oeuvre va créer un phénomène de promotion littéraire et apporter le succès.
      Les personnages qui gravitent autour de l'homme et du livre vont voir leurs destins complètement chamboulés.
     C'est un hommage aux livres, au cinéma, à la culture que nous offre ici David Foenkinos.
     Les références littéraires sont nombreuses, les clins d'oeil aussi. Il tacle gentiment certains de ses contemporains, et c'est avec plaisir que nous retrouvons dans ce livre les écrivains présents ou passés.
     Foenkinos connaît le monde de l'édition, le travail de création, les journalistes impitoyables et il le raconte avec beaucoup de délicatesse.
     Un très bon roman de détente intelligent, avec un suspense qui tient jusqu'au bout.
     Lisez et vous découvrirez le mystère Pick.
David Foenikinos - Le mystère Henri Pick - Editions Gallimard - 228 Pages - 19.50 Euros
    

vendredi 22 avril 2016

Patrick Lapeyre : La splendeur dans l'herbe

     Patrick Lapeyre possède une écriture pleine de charme et de délicatesse. Après " La vie est brève et le désir sans fin", il nous comble avec l'histoire d'une rencontre amoureuse hors du temps, dans les délices de conversations murmurées.
     C'est une rencontre surprenante, celle d'Homer et Sybil. Leurs conjoints respectifs, Emmanuelle et Giovanni, viennent de les quitter pour vivre leur passion amoureuse à Chypre.
     Seuls tous les deux, ils prennent l'habitude de se retrouver, ils s'accordent avec tendresse et tendent à un sentiment plus fort.
Mais les souvenirs et les nouvelles des nouveaux amants les condamnent au doute et à une certaine prudence.
     Peut-on vraiment retomber amoureux quand tout est parti en fumée ?
     C'est la question que pose Patrick Lapeyre à travers le portrait de ces personnages très décalés et très attachants, pour lesquels l'auteur ressent de la tendresse.
     En filigrane, se glisse l'histoire des parents d'Homer, Arno et Ana. Ana était une femme belle et rebelle, peu faite pour une vie de couple restreinte.
     Le lecteur comprend mieux l'immobilisme et les atermoiements d'Homer. Patrick Lapeyre aurait pu nous raconter la passion flamboyante d'Emmanuelle et Giovanni, il a préféré nous entraîner dans le jardin où les deux "quittés" se découvrent et apprennent à se connaître.
     Des mots lumineux, des silences apaisants, une attente de lendemains heureux, le lecteur savoure une certaine lenteur.
Patrick Lapeyre - La Splendeur dans l'herbe - Éditions P.O.L. - 384 Pages - 19.80 Euros

mercredi 20 avril 2016

Fabrice Colin : La poupée de Kafka

     Fabrice Colin nous emporte sur les traces de Kafka en se servant d'une énigme littéraire, celle des lettres que Kafka aurait adressé à une petite fille qui avait perdu sa poupée, dans un parc à Berlin en 1923.
     Malgré le fait confirmé par Dora Diamant sa dernière et dévouée compagne, ces lettres perdues restent un mystère pour les admirateurs de l'homme au chapeau.
     Trois personnages  se retrouvent liés et bousculés par cette histoire et vont livrer ici leurs secrets et faisant ainsi face à la réalité de la vie.
     Mais le livre n'est qu'un long mensonge. Celui de  l'homme et de ses manquements, de ses silences et de ses loupés mais aussi de ce dont il est capable d'inventer pour rendre acceptable son existence.
    Abel est professeur à la Sorbonne et spécialiste de littérature allemande, il voue une admiration démesurée à Kafka. Mari peu fidèle, père peu modèle, il utilise le mensonge pour masquer l'homme de peu d'envergure qu'il représente.
     Sa fille, Julie quant à elle est consciente de l'absence total de son père mais l'aime toujours. Pour combler le fossé qui les sépare, elle part à la recherche de cette petite fille aux lettres.
     Il semble qu'elle l'ait trouvée en la personne d'Else, vieille dame abrupte qui s'amuse à infliger son mauvais caractère à tout le monde. Les protagonistes vonts se retrouver au pied du Mont-Blanc dans un rendez-vous à l'ombre de Kafka, pour dénouer une vérité très compliquée.
     Trois personnages, trois générations, un mystère et une très belle couverture, de quoi convaincre.
Si le style est sensible l'histoire mérite une réflexion plus approfondie sur la difficulté des rapports entre les trois personnages.
     L'histoire d'Else, écrite en italique, demande plus de détails, elle est trop dure pour être trop survolée.
     Peut-être aussi, que le grand absent est Kafka, même si on le sent tout près, j'aurais aimé plus sur son énigme, sans doute une descente dans ses enfers.
     Mais l'écriture est subtile et nous invite à réfléchir à la puissance de l'imaginaire dans nos vies, sur l'espoir qu'il nous donne.
Fabrice Colin - La poupée de Kafka - Editions Actes Sud - 272 Pages - 20 Euros